La plus humble des prières, et la plus vraie aussi, celle qui monte des lèvres suppliantes, à bout d’argument et de défense : "S’il vous plaît." En 2019, recevant les dirigeants des principales factions en présence au Sud-Soudan, François avait articulé ces pauvres mots en se prosternant devant chacun d’eux, baisant leurs pieds. Les prières du pauvre touchent le cœur de Dieu et touchent aussi, parfois, le cœur des hommes. Même ceux que l’on dit les plus endurcis. Depuis lors, avec le travail actif de la communauté Sant’Egidio, la paix progresse en dépit de difficultés et d’obstacles qui en ralentissent la marche. Mais la paix n’est-elle pas le lieu principal du combat ? Le report de son voyage dans le pays, au printemps dernier avait soulevé bien des débats : les plus rétifs au processus en cours allaient jusqu’à avancer que l’excuse de la santé était bien suspecte. Ils ont en tout cas accueilli ces jours-ci un homme en fauteuil roulant. Un homme qui s’acharne à appeler à bâtir des ponts entre les hommes avec la force de son handicap et qui vient une nouvelle fois déposer devant eux, sans jugement, sans arrogance, cette prière du tout-petit : "Je vous en prie…"
La prière est un apprentissage
L’appel à la prière est une donnée de l’éducation chrétienne. Elle est même si importante que nous la pensons aller de soi. Comme s’il pouvait aller de soi de prier ! Les baptisés parlent beaucoup de la prière. Il est même probable que ce soit un point majeur de désillusion religieuse : constater que ce que l’on demande n’aboutit pas à ce qu’on espérait, peut être pour bien des hommes un constat cruel qui aboutit à ne plus se fier à l’injonction tant de fois entendues : "Prie !" D’autres auront le sentiment qu’ils n’y arrivent pas alors qu’autour d’eux se multiplient les témoignages bruyants de la vie transformée par ce cœur à cœur avec le Seigneur...
La prière n’est plus une demande religieuse, elle est la remise totale entre les mains de Celui que l’on reconnaît comme un Père.
En matière de prière, on a vite fait de penser être le mauvais élève, surtout quand certains n’hésitent pas à claironner leurs compétences... Il devrait être rassurants pour ceux qui se pensent nuls, de laisser retentir la question des Apôtres au bord du lac qui osent enfin formuler à leur Maître ce que leurs cœurs désiraient, depuis le temps qu’ils l’observaient se retirer et se mettre à l’écart : "Maître, apprends-nous à prier." Car la prière est d’abord un apprentissage. Elle n’est même que cela : une demande d’apprendre, et d’apprendre toujours. Apprendre de la bouche même de Jésus, les mots qui touchent le cœur du Père. Des mots formulés grâce à l’Esprit qui nous rend capable de les accueillir et de les faire nôtres en les présentant à Dieu. S’ils peuvent se présenter ainsi, nus spirituellement, c’est que les Apôtres savent bien qu’à Jésus on peut tout demander. Ne dit-il pas à longueur de Bible : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?"
La condition de toute prière
En leur donnant le Notre Père, Jésus leur ouvre un Ciel inespéré. La prière n’est plus une demande religieuse, elle est la remise totale entre les mains de Celui que l’on reconnaît comme un Père qui ne cesse de nous créer, permettant ainsi à l’impossible de prendre chair dans la chair. Et cette opération ne se paye pas de mots : point de formules pompeuses ou de mots mystérieux. Chaque syllabe du Pater est un mot quotidien. Elle peut résonner de la manière la plus mystique comme la plus vulgaire. Prier n’est plus réservé à une caste qui s’engraisse de la superstition des autres. Tous, du plus savant au plus ignorant, du vieillard Syméon au petit bébé qui ne sait pas parler, oui tous peuvent accueillir ces mots et leur donner vie dans leurs vies afin de les faire monter vers le cœur de Dieu.
"Je vous en prie" : à force d’utiliser ces mots comme formule de politesse, nous oublions souvent qu’ils constituent à eux seuls la condition de toute prière. S’avouer disponible à une volonté autre que la nôtre, être prêt à mettre notre volonté en communion avec celle d’un autre. Cela devrait nous aider à renoncer à "savoir prier". Le moindre des fruits de ce renouveau spirituel ne serait-il pas de redonner espoir à ceux qui se découragent de ne pas y arriver, et de remettre l’Église dans sa juste place, celle de l’humilité, condition de la rencontre et de l’accueil de Celui qui ne se révèle que dans l’absence d’orgueil et de posture mondaine.