La miséricorde de Dieu n’est pas un sirop pour la toux. Elle n’est pas un doux élixir qui tapisse là où ça pique, qui empêche que ça gratte et nous permet de dormir la nuit sur nos deux oreilles. Tordons le cou à l’idée romantique et fleur bleue d’un Dieu qui nous passerait tout : si Dieu pardonne tout, rien n’est grave, n’est-ce-pas ? Avec son corollaire : si Dieu pardonne à tour de bras, si Dieu guérit toutes les blessures, à quoi bon identifier et punir les coupables ? N'est-ce pas manquer de hauteur de vue ?
La réparation est une nécessité absolue
Reconnaissons ceci. La mise à jour des exactions et pratiques sectaires commises par les frères Philippe et par Jean Vanier pendant des décennies, leur totale impunité jusque sur leur lit de mort, ne peuvent que nous plonger dans une colère noire et nous faire redire : heureusement que l’Enfer existe. Évidemment la justice humaine doit s’exercer, assumer sa fonction punitive et réparatrice. Empêcher le coupable de nuire, réparer les torts. Mais quand le coupable est décédé après avoir passé une vie entière sans être vraiment inquiété, à cause de son pouvoir de mystification et de l’indifférence plus ou moins volontaire de ceux qui savaient, comment le faire payer, qui va réparer ?
Quand l’indifférence monte son mur, il ne lui reste plus rien, le champ libre est laissé à l’agresseur.
Et pourtant la réparation est une nécessité absolue. Depuis les temps les plus reculés de l’Antiquité grecque c’est ainsi que les hommes ont pensé et fait la justice : rendre justice exige que soit rétabli l’équilibre, l’ordre qui a été abîmé, et les Grecs validaient même l’idée que cela requiert une vie entière, ou même plusieurs générations, comme en témoignent de nombreux récits mythologiques. En effet, il y a des crimes qui étendent leur séisme sur les générations qui suivent… Et pourquoi le silence de l’entourage ou de l’institution est-il si effroyable ? Parce que dans ces cas d’emprise, rappelons-le, la victime ne sait pas qu’elle est victime, elle se croit même coupable. Non pas qu’elle soit inintelligente, mais parce que par définition, le mécanisme de l’emprise la dépossède des moyens de se reconnaître comme victime. Alors quand l’indifférence monte son mur, il ne lui reste plus rien, le champ libre est laissé à l’agresseur. Ainsi, faire la lumière jusqu’au bout sur ces événements ne relève pas de l’acharnement voyeuriste mais d’un devoir absolu de vérité dont ont longtemps été privées les victimes, et de justice. Nommer le mal est une nécessité.
La voie de la pénitence
La justice doit passer, mais peut-elle tout réparer ? Ne nous leurrons pas : il est des blessures qui ne se ferment pas, des cicatrices qui marquent à vie, les témoignages issus du rapport de la Ciase finiront de convaincre ceux qui en doutent. Cependant reconnaître qu’un irréparable a été commis, le nommer et payer est une voie vers la reconstruction espérée.
Reconsidérons ces gestes de pénitence trop souvent relégués au catalogue des pratiques préhistoriques
Une autre voie d’action nous est donnée, à nous qui pourrions en rester à la colère et aux larmes. C’est une voie qui pique et qui gratte, une voie qui est le contraire du sirop pour la toux, une voie ouverte par le Christ lui-même, cette voie s’appelle la Pénitence. Ce que nos grands-mères appelaient "faire un sacrifice". Nous pouvons faire quelque chose. Le discours est moins vendeur que les discours lyriques sur la miséricorde pour tous, mais c’est la voie choisie par Jésus lui-même, offert en sacrifice pour racheter les péchés du monde. Reconsidérons ces gestes de pénitence trop souvent relégués au catalogue des pratiques préhistoriques, ils sont un moyen mystérieux, choisi par Jésus lui-même au désert, pour que nous, qui ne sommes pas les coupables de ce dont on accuse ces trois prédateurs, puissions œuvrer à la réparation de ces crimes. Quant à la miséricorde de Dieu, rappelons qu’elle est grande et puissante, justement car elle s’exerce sur le fond de la possibilité de la damnation éternelle.