Cela ressemble à une enchère publique : chaque joueur met son offre sur la table, nécessairement supérieure à celle du prédécesseur. Mais ici il s’agit d’armement et d’aide militaire à l’Ukraine. Après l’envoi d’aides humanitaires, puis d’armes de défense, les pays européens ont franchi un stade supérieur avec l’annonce d’envois de chars et de blindés. Un an après le début de l’invasion, le front patine et se stabilise en attendant, peut-être, une offensive au printemps. La Russie détient toujours près de 20% du territoire ukrainien et consolide ses positions, sans que l’on puisse assurer que l’armement fourni permettra une réelle modification des rapports de force.
Où est le Parlement ?
En livrant ainsi autant d’armes à l’Ukraine, la France et les autres pays d’Europe se positionnent ouvertement contre la Russie. Cette position était bien évidemment implicite depuis le 24 février 2022, mais la diplomatie française tentait malgré tout à jouer les points d’équilibre entre Moscou et Kiev. En s’engageant ainsi auprès de l’Ukraine, il ne sera plus possible de servir d’intermédiaire dans les négociations. Une position qui revient de fait à Erdogan qui, tout en livrant des drones à l’Ukraine, maintient le contact avec Moscou. Les juristes pourront certes arguer du fait que la France n’est pas cobelligérante. Cela tient peut-être quant au droit, mais non quant au fait. Désormais, la France est bien en guerre contre la Russie, comme le prouvent notamment les sanctions économiques prises dès le début de l’invasion.
Or cela n’est pas sans poser, outre un problème juridique de définition, un problème démocratique. Certes, dans la Ve République, le président de la République est le chef des armées et peut décider seul d’engager les troupes françaises, sans demander l’aval du Parlement. Mais uniquement au début d’un conflit. Un an après le début de la guerre, l’absence de débat démocratique au Sénat et à l’Assemblée nationale pose un problème de légitimité politique. Que le Parlement, organe de la représentation populaire, ne puisse pas débattre et discuter d’un fait aussi important que l’engagement de la France dans une guerre ouvre un vide politique qui n’est pas sans conséquence. Difficile ensuite de convaincre les Français de l’importance du vote si, sur un sujet aussi crucial pour une nation, les représentants ne sont pas consultés. On voit comment aux États-Unis le débat a lieu dans un cadre démocratique, où le Sénat et la Chambre des représentants discutent des aides financières octroyées. Là aussi, cet argent étant celui du contribuable, il serait normal que la représentation parlementaire puisse en débattre. Les guerres sont toujours l’occasion pour les États de renforcer l’exécutif au détriment des pouvoirs locaux ; cette guerre en Ukraine en donne une nouvelle illustration avec l’effacement du rôle du Parlement.
Matériel inutilisable ?
S’agissant du matériel prêté et donné, il y a un intérêt stratégique, mais aussi un intérêt psychologique : témoigner du soutien de la France à la nation ukrainienne, afin de l’encourager à se battre dans un conflit où elle n’est pas seule. Cependant, encore faut-il que le matériel soit réellement utilisable. Les canons Caesar, par exemple, sont de très beaux outils, fournis en nombre limité compte tenu de leur cherté et de leur complexité de fabrication. Néanmoins, ils ne sont pas adaptés à un usage intensif, mais à ciblage de précision. Or les Ukrainiens l’utilisant comme pièce d’artillerie massive, cela revient à conduire une Ferrari dans une forêt, là où un Land Rover est plus adapté. En conséquence de quoi, les Caesar connaissent une usure prématurée des tubes de lancement, qu’il faudra prochainement renouveler. Or ces pièces coûtent très cher et sont complexes à fabriquer.
Autre problème, les obus utilisés ne sont pas toujours ceux adaptés aux canons, ce qui là aussi provoque une accélération de l’usure. Derrière les effets d’annonce, se cache la réalité de l’emploi des matériels, autrement dit la question du fonctionnement, qui est trop souvent l’oubliée des politiques publiques. Pas sûr non plus que l’industrie de la défense en Europe puisse suivre le rythme de la production nécessaire pour fournir toutes les armes annoncées à l’Ukraine. On le voit, de la volonté de la guerre à sa réalité, il y a tout un long chemin à parcourir.