Cette affaire très complexe, qui dure depuis des années, a pris un nouveau tournant fin décembre lorsque Sergeï Stepachine, chargé de la récupération des biens russes en Israël et dans les territoires palestiniens, ancien Premier ministre de surcroît, a annoncé avoir porté plainte auprès de tribunaux israéliens pour la restitution de ces quatre églises. Trois d’entre elles se trouvent sur le mont des Oliviers : l’église Sainte-Marie-Madeleine – reconnaissable à ses éclatants bulbes dorés –, la chapelle de l’Ascension et l’église dite Viri Galilei – actuellement entre les mains du patriarcat grec orthodoxe de Jérusalem et théâtre de la rencontre historique entre Paul VI et le patriarche œcuménique de Constantinople, Athénagoras, en janvier 1964.
La quatrième est, quant à elle, située en vieille ville : l’église Alexandre Nevsky fait en réalité partie d’un ensemble, comprenant également un petit musée ainsi que des vestiges archéologiques attribués à la basilique constantinienne du Saint-Sépulcre. Ce complexe est connu sous le nom de "Cour Alexandre". En avril dernier déjà, Vladimir Poutine en avait exigé le transfert à son pays, dans une lettre adressée au Premier ministre israélien de l’époque, Naftali Bennett. Cela, en vertu d’une promesse faite en 2020 par Benyamin Netanyahu, alors chef du gouvernement, qui voulait faciliter la libération d’une israélo-américaine, incarcérée en Russie pour trafic de drogue. Intervenant dans un contexte très délicat – Israël venait de condamner les exactions de l’armée russe à Boutcha (Ukraine), s’attirant de vives remontrances du Kremlin – la missive du président russe n’était pas passée inaperçue.
Récupérer les biens de l’Empire russe
Il faut pourtant savoir que les revendications de Vladimir Poutine sur ces églises hiérosolomytaines ne datent pas d’hier. C’est en effet depuis 2005 qu’il cherche à récupérer tous les biens russes acquis en Terre Sainte au XIXe siècle, notamment sous le règne du tsar Alexandre III, puis confiés à la Société impériale orthodoxe en Palestine, une pieuse institution de l’Église orthodoxe de Russie.
Or, cette Église se scinde en deux après la révolution d’Octobre 1917, rappelle le site Terrasanta.net. La première, dite "blanche", fidèle au tsarisme et exilée, parvient à garder le contrôle des propriétés ecclésiastiques à Jérusalem et en Palestine, via la Société impériale. La seconde, incarnée par le Patriarcat de Moscou et inféodée au pouvoir soviétique, récupère peu à peu les biens situés en Israël pour prix de sa reconnaissance officielle de cet État. La Fédération de Russie ayant ensuite été reconnue par la communauté internationale comme successeur de l’Empire russe, elle tente donc de reprendre possession des derniers biens qui lui échappent encore. Or, cette initiative n’est pas du goût de la Société impériale orthodoxe qui, toujours gardienne du complexe de la Cour Alexandre, a obtenu de la justice israélienne le blocage du transfert de propriété aux autorités moscovites. D’où la lettre de Poutine qui, très lié au Patriarcat de Moscou, se pose en protecteur de ses intérêts.
Pression maximale sur Israël
L’équation est difficile pour Netanyahu, qui a entretemps retrouvé son fauteuil de Premier ministre et doit gérer cette affaire hautement sensible en raison de ses implications géopolitiques. Car d’un côté, il ne s’agirait pas de mécontenter davantage le Kremlin, qui, pour le moment, ferme les yeux sur les raids menés par l’aviation israélienne en Syrie contre des cibles iraniennes. De l’autre, céder à Poutine reviendrait à encourir la colère des Occidentaux, notamment celle du Royaume-Uni. Car l’église Sainte-Marie-Madeleine revêt une valeur affective pour la monarchie britannique : elle abrite en effet la tombe de la princesse Alice de Battenberg, mère de feu Philip Duc d’Edimbourg et grand-mère de l’actuel roi Charles III.
Stépachine, qui accuse Israël de "trainer des pieds" dans cette histoire, affirme que son pays ira jusqu’au bout de sa démarche, quitte à envisager des "sanctions" si, d’aventure, Tel-Aviv se risquait à ne pas satisfaire ses exigences. Ainsi, bien malgré elle, Jérusalem se retrouve une fois encore au cœur des enjeux internationaux. Reste à espérer qu’elle n’en subira pas les conséquences.