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Thérèse de Lisieux, au jeu incertain des dates de sa vie

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Claude Langlois - publié le 02/01/23
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Désireuse de se rassurer dans sa foi, Thérèse voulait maîtriser le temps en trouvant un sens aux grandes dates de sa vie. Cet aspect méconnu de son existence raconté par l’historien Claude Langlois, auteur de « Thérèse de Lisieux et la Miséricorde » (Cerf), fait comprendre comment Thérèse dut se battre toute sa vie pour se déposséder.

Au lendemain de la rédaction de son dernier grand manuscrit, fin juin 1897, Thérèse, très malade, vient d’être transportée à l’infirmerie. Parmi ses paroles, notées par Mère Agnès, sa sœur qui la veille, celle-ci, du 9 juillet : « Mangez des “dates” tant que vous voudrez, moi je ne veux plus en manger… J’ai été trop attrapée par les dates. » Ce même jour, Mère Agnès lui avait proposé les jours possibles pour une belle mort, le 16 juillet, fête de Notre-Dame du Carmel, ou le 6 août, fête de la Sainte Face. D’où sa vive sa réponse.

« Il faudra encore attendre »

Ce 9 juillet, était aussi un mois après le 9 juin 1897. Ce jour-là, elle avait bouclé ce qu’elle avait à écrire à sa prieure — la révélation de la miséricorde aux petites âmes et la longue nuit de sa foi — en ponctuant son texte d’une date finale : « (9 juin) ». Le même jour, elle annonçait à son petit frère, le séminariste Bellière, sa mort imminente « parce que telle est la volonté du Bon Dieu ». Sans plus. Une semaine plus tard, Thérèse revenait, amère, sur ce qui s’était passé. Le 9 juin, « je voyais le Voleur, à présent je ne le vois plus du tout. Ce que l'on me dit sur la mort ne peut plus pénétrer, ça glisse comme sur une dalle. C'est fini ! l'espoir de la mort est usé ». Le Voleur, c’était Jésus, venu la saisir comme dans un rapt amoureux.

Et le 6 juillet, elle faisait un retour définitif à la réalité : « Je pense que pour ma mort, ce sera la même patience à avoir que pour les autres grands événements de ma vie […], il faudra encore attendre. » Mais pourquoi ce mystérieux 9 juin ? Parce que c’était le deuxième anniversaire de son Offrande à l’Amour miséricordieux, évènement pour elle fondateur car cette Offrande avait ouvert un cycle de révélations de deux années (juin 1895-juin 1897) qui, pour elle, allait se clore. Ultime occasion, évidemment manquée, d’avoir une dernière fois prise sur sa vie. 

Le jour où sa sœur prendrait l’habit

Elle avait de plus une excuse, le Ciel l’avait exaucée, un an plus tôt, en juin 1896, quand sa prieure avait confié à sa prière un jeune prêtre normand en partance pour la Chine. Thérèse avait rapidement joué avec le père Roulland au jeu des dates de chaque vie : voici les miennes, donnez-moi les vôtres. Surprise, une de chaque liste pointait le même jour et la même année : Thérèse en conclut aussitôt : « Le 8 septembre 1890, votre vocation de missionnaire était sauvée par Marie […] ; en ce même jour une petite carmélite devenait l'épouse du Roi des Cieux », le jour de sa profession. En ce jour, Thérèse demanda à Jésus un prêtre qui « ait les mêmes aspirations, les mêmes désirs » qu’elle. À Roulland, cette quasi affirmation : ne pensez-vous pas que notre union, « confirmée le jour de votre ordination sacerdotale, commença le 8 septembre ? »

Il en avait été autrement pour ses jeunes années. En 1883, Thérèse, à 10 ans, venait d’apprendre que Pauline, sa seconde maman, allait entrer au carmel. Son monde s’écroulait. Elle croyait pourtant avoir trouvé une parade : faire sa première communion le jour même où sa sœur prendrait l’habit. Mais le curé de sa paroisse refusa de lui accorder une dispense de trois jours, pour se trouver dans la bonne cohorte. Elle en fit, on le sait, toute une maladie, longue et mystérieuse, guérie seulement par le sourire de la Vierge. L’année suivante, la prieure, mise au courant de sa sensibilité, accepta de caler le jour de la profession d’Agnès de Jésus sur celui où Thérèse ferait sa communion solennelle. Mais elle avait déjà expérimenté dans sa chair l’amertume de ce jeu de dates. 

Son entrée au carmel

À 14 ans pourtant, elle récidive. On connaît la fameuse nuit de Noël 1886, l’épisode des jouets, les larmes ravalées devant une remarque de son père. Ainsi commença le moment « de ma complète conversion », écrira-t-elle plus tard, celui aussi de son entrée soudaine dans l’âge adulte. Elle acquit la ferme certitude de ce changement quand elle convertit le meurtrier Pranzini, juste avant qu’il ne monte à l’échafaud : révélation pour elle de l’efficacité de la prière au carmel où elle aspirait entrer. Thérèse toutefois attendit octobre 1887 pour acquérir la certitude que ce qu’elle venait de vivre depuis le précédent Noël devrait avoir comme terme son entrée au carmel… pour le jour de Noël 1887.

Mais au pape qu’elle sollicite, lors du pèlerinage du diocèse à Rome, elle dira seulement qu’elle voulait entrer au carmel à 15 ans. Elle avait écrit à son évêque, en décembre, Jésus le veut. C’était sa seule arme qui faillit réussir, même s’il lui a fallu apprendre d’abord à perdre au jeu si incertain des dates. En fait elle entrera au carmel après Pâques 1888. Comment comprendre cette soudaine certitude : naïveté juvénile ? angoisse surmontée par un désir éperdu de valider l’invisible par le visible ? 

Thérèse est bien née le 2 janvier 1873, voilà 150 ans, et morte le 30 septembre 1897. Elle n’a pas eu la possibilité de maîtriser, même symboliquement, le temps de sa vie. La docteure de l’Église qu’elle est devenue en 1997, avait vécu à sa manière, année après année, le désenchantement du monde et la dépossession de la maîtrise de sa vie. Et pour cela aussi elle nous touche jusque dans ses enfantillages à répétition, sa manière bien à elle d’avoir conscience aussi du quotidien souvent tragique de la vie.

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