La fonction de pape émérite de Benoît XVI, mort le samedi 31 décembre 2022, était un costume fait sur mesure : aucun pape n’ayant renoncé volontairement dans l’histoire, si on excepte le cas de Célestin V en 1294 – qui était retourné dans l’ermitage dont on l’avait tiré quelques mois après son élection – Benoît XVI a dû innover. Il a défini ainsi les contours du statut de pape émérite : "plus d’autorité juridique concrète, mais une mission spirituelle qui demeure – même si elle est invisible".
Retiré à partir de mars 2013 dans le monastère Mater Ecclesiae dans les jardins du Vatican où il profite d’une vieillesse paisible, accompagné par son fidèle secrétaire Mgr Georg Gänswein et par plusieurs sœurs qui l’assistent, Benoît XVI est très peu apparu en public – moins d’une dizaine de fois. Cependant, contrairement à ce qu’on peut souvent lire, il n’a jamais fait vœu de silence, rappelle son biographe Peter Seewald, et s’autorise donc une parole libre, même si le pontife émérite s’interdit d’intervenir dans le magistère de son successeur.
Les habits blancs de l’émérite
Avoir deux papes a souvent été synonyme de désunion de l’histoire de l’Église : aussi Benoît XVI a taché de faire en sorte que le statut de pape émérite le distingue clairement du pape en fonction. Le pape émérite s’est ainsi défait de l’anneau du pécheur (qui, comme après un décès, a été détruit), de la mozzetta (la capeline d’épaule). Il a toutefois gardé l’habit blanc de pontife, ce qui lui a valu quelques critiques, comme récemment de la part du cardinal australien George Pell.
Ce détail ne semble pourtant pas avoir été particulièrement pris en compte par l’ancien chef de l’Église catholique. Il avait expliqué dans un entretien de 2014 qu’il s’agissait d’un choix par défaut : "au moment de ma démission, aucun autre vêtement n’était disponible".
Évêque… ou professeur émérite ?
Pour définir le statut de pape émérite, le pontife s’est inspiré du statut d’évêque émérite, qui stipule depuis Vatican II qu’un ancien prélat n’a "aucune implication dans le contenu juridique concret de l’office épiscopal, mais en même temps […] voit le lien spirituel [avec son diocèse, ndlr] comme une réalité". Dans le cas de Benoît XVI, ce lien, considère-t-il, est avant tout affaire de prière.
Étant donné son passé dans l’enseignement et son statut de théologien, Benoît XVI – ou Joseph Ratzinger, comme il aime à signer ses ouvrages de recherche – a pu aussi envisager ce statut "émérite" comme c’est le cas pour les professeurs à la retraite dans un système universitaire occidental. De la même façon qu’un professeur émérite peut continuer à enseigner et intervenir dans la vie intellectuelle, le pontife émérite a poursuivi ses publications pour faire profiter de son expérience, tout en laissant sa place en "chaire" à son successeur. En 2013, le pape François décrivait d’ailleurs Benoît XVI comme un "grand-père à la maison" qu’il consultait régulièrement.
Un ancien pape doit-il se taire ?
La plupart du temps, la parole libre de "l’ancien pape" n’a pas interféré dans le ministère pétrinien. Cependant, la question du risque d’un double magistère a été soulevée à plusieurs reprises. Cela été le cas une première fois en 2015 avec la publication d’un texte contre le mariage des prêtres dans l’Église latine dans une réédition de ses Œuvres complètes, alors que se tenait à Rome le Synode sur la Famille. Perçue comme contraire à l’esprit synodale et irrespectueux de la primauté de son successeur, la nouvelle avait particulièrement irrité l’aile "progressiste" de l’Église, en particulier dans son pays.
En 2017, Benoît XVI avait écrit un message lu lors des funérailles du cardinal Joachim Meisner. Une métaphore employée, celle de la « barque presque remplie pour chavirer », a été perçue comme une critique de l’Église conduite par le pape François ; au grand regret de Benoît XVI, qui dit s’être référé à un texte de saint Grégoire le Grand. Lors de ses rares entretiens avec la presse, l’Allemand n’a d’ailleurs cessé de rappeler qu’il avait bien cessé d’avoir une parole magistérielle.
Benoît XVI a toujours réfuté l’idée qu’il essayait d’intervenir dans les débats de l’Église ou la vie publique.
Bien que pressés par des théologiens, dont un consortium piloté par la puissante école théologique de Bologne, de réguler le statut de pape émérite, François n’aura de son côté jamais pris en compte leur mise en garde contre le vide juridique que la création sue generis de ce statut par Benoît XVI représentait. Certains lui demandaient d’imposer le terme ‘évêque émérite’, d’autres de lui imposer le silence. Dans un entretien accordé à la presse espagnole en 2022, le pape François expliquait ne pas s’intéresser à cette question et ne pas vouloir y toucher. « J’ai la sensation que l’Esprit Saint n’a aucun intérêt à ce que je m’occupe de ces choses ».
Un exemple pour l’avenir ?
Benoît XVI a toujours réfuté l’idée qu’il essayait d’intervenir dans les débats de l’Église ou la vie publique. En 2020, dans sa biographie rédigée par Peter Seewald, il parlait de ces accusations comme d’une "distorsion malveillante de la réalité".
À noter que le pape François lui-même s’est toujours gardé de commenter le statut spécifique de son prédécesseur. Leurs rencontres au sein du Vatican, toujours chaleureuses, semblaient illustrer la thèse défendue par Benoît XVI, celle d’une continuité entre les deux pontificats. A contrario, comme le note le journaliste allemand Felix Neumann, les polémiques ont souvent plus découlé de la polarisation effectuée par les médias entre un Benoît XVI conservateur et un François progressiste que du statut spécifique du pape émérite.