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Naissance de Jésus : faut-il prendre les évangiles au sérieux ?

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Roland Hureaux - publié le 26/12/22
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Bien des mystères entourent l’événement de la naissance de Jésus : quelle est la part de la légende et quelle est la part de l’histoire ? Pour l’historien Roland Hureaux, auteur de "Jésus de Nazareth, roi des juifs" (DDB), il faut prendre le témoignage des évangélistes au sérieux.

Auteur d’un Jésus et Marie-Madeleine (Perrin), Roland Hureaux se livre dans son Jésus de Nazareth (DDB, 2021) à une lecture historique de la vie du Messie éclairée par sa connaissance du Ier siècle romain de notre ère, de son contexte social et politique. Pour lui, une des preuves les plus fortes de l’historicité des évangiles est leur réalisme dans la description du comportement des personnages de l’époque. 

Aleteia : Votre approche, dites-vous, est historique. À la différence d’autres biographes de Jésus, vous accordez une grande importance à l’enfance de Jésus. Pourquoi ? 
Roland Hureaux : Quand on parle d’approche historique de Jésus, trop de gens s’imaginent que vous allez faire un implacable travail de déconstruction. Curieusement, si vous travaillez sur la guerre des Gaules, personne ne s’attend à ce que l’on déconstruise le témoignage de Jules César. Je suis parti du fait que les auteurs des quatre Évangiles, notre seule source, étaient des juifs scrupuleux, connaissant le 9e commandement : "Tu ne porteras pas de faux témoignage" et qu’il faut donc prendre le leur au sérieux. Il est difficile de dire que les Évangiles dits de l’enfance (Matthieu et Luc) posent plus de problèmes de crédibilité que ceux qui se rapportent à sa vie adulte. Luc dit qu’il s’est bien documenté. Auprès de qui ? D ’abord, peut-on penser, de Marie qui "gardait fidèlement tous ses souvenirs dans son cœur", nous dirions "dans sa mémoire". 

Quelle est l’importance de cette enfance à côté du message central des Évangiles (les Béatitudes, les paraboles etc.) ?
Marie prononce le Magnificat qui préfigure les annonces de la vie publique avant même la naissance de Jésus. C’est d’ailleurs largement un "collage" de l’Ancien testament. L’apparition de Jésus sur la scène publique suscite un grand débat : est-ce là le Messie ? Le débat porte sur ses origines. On le croit né en Galilée ; il ne saurait donc être le Messie puisque selon le prophète Michée ce dernier doit naître à Bethléem, en Judée. 

A-t-on des témoignages de la naissance de Jésus hors du christianisme ? 
Non. Plusieurs siècles après, le Coran relate la naissance de Jésus. Il naît sous un palmier, ce qui n’est pas contradictoire : le palmier, comme la bergerie, suppose un point d’eau. Les excités qui pourchassent les crèches à coup de procédures ne savent sûrement pas que la naissance de Jésus est aussi un événement pour les musulmans. 

Cette naissance humble (...) il me paraît difficile qu’on l’ait inventée.

Certains soupçonnent que la naissance à Bethléem aurait pu être un rajout ultérieur destiné à cadrer avec la prophétie. 
S’il s’agissait de confirmer le caractère royal et donc messianique de Jésus, pourquoi aurait-on inventé cette histoire de crèche dans une bergerie, un lieu que je vous laisse imaginer, froid, humide, malodorant ? Et surtout l’annonce faite à des bergers, profession mal famée, en marge de la cité et donc en contact, avec tout ce qu’il y avait de trouble : les brigands, très présents dans les Évangiles, les irréguliers de toute sorte. En l’an 6, cinq frères bergers, des colosses, fomentent une révolte contre les Romains ; leur chef, Athrongès se fait roi ; ils sont impitoyablement écrasés. Nous connaissons tous la haute valeur symbolique de cette naissance humble mais il me paraît difficile qu’on l’ait inventée. 

La prophétie de la venue d’un personnage extraordinaire né d’une vierge était connue dans tout l’Orient.

Et les rois mages ? 
Je vous rappelle que pour l’Évangile de Matthieu, le seul à en parler, ils ne sont ni rois, ni trois. La Judée était une voie de passage entre la Mésopotamie et l’Égypte. Que de grands personnages y transitent n’avait rien de surprenant. Ils viennent sans doute de Perse où la caste des mages était puissante, peut-être sont-ils des juifs de la Déportation. Les premiers auteurs chrétiens se sont demandé pourquoi Marie les reçoit seule alors que les bergers ont vu Marie avec Joseph. La prophétie de la venue d’un personnage extraordinaire né d’une vierge était connue dans tout l’Orient. Si les mages avaient trouvé Joseph auprès de Marie, n’auraient-ils pas eu quelques doutes ? 

Et l’âne et le bœuf ? 
Cette pieuse légende provient d’une mention d’Isaïe (1,3). Des érudits ont supposé que l’âne servait à transporter Marie et que le bœuf représentait l’impôt que la sainte famille aurait à payer. Car le recensement était d’abord une opération fiscale. La classe à laquelle appartenait Joseph était la plus imposée. Les plus riches échappaient, comme il arrive souvent, à l’impôt. Les pauvres, très nombreux, peut-être la moitié de population, ne pouvaient rien payer ; restait la petite bourgeoisie laborieuse à laquelle appartenait Joseph, écrasée par le fisc. 

À quelle date Jésus est-il né ? 
Avant la mort d’Hérode sans nul doute. Celui-ci est mort vers le printemps de - 4. Jésus serait né peu avant. Les plus anciennes traditions chrétiennes donnaient cette naissance le jour de l’Épiphanie, soit le 6 janvier de l’an - 4. 

Hérode, qui ressemble tant à l’ogre des contes, a-t-il vraiment existé ? 
Bien sûr, c’est un personnage important qui règne pendant 40 ans sur les Juifs, sous protectorat romain. Jeune, il avait même, selon Flavius Josèphe, le seul historien non-chrétien de cette époque, été courtisé par Cléopâtre. Il avait fait assassiner trois de ses enfants, une de ses femmes et tout ce qui restait de la dynastie précédente, celle des Macchabées. Lui annoncer qu’un enfant issu d’une dynastie plus ancienne et encore plus prestigieuse, celle de David, était signalé dans les parages ne pouvait que l’inquiéter. Qu’il s’agisse ou non un héritier authentique, des insurgés pouvaient s’en réclamer. Pour ce vieil homme détesté, il y avait là un danger mortel. Le massacre dit des Innocents est une réaction politique tout ce qu’il y a de plus vraisemblable. Selon un auteur tardif latin, l’empereur Auguste l’aurait appris et en aurait été indigné. 

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Chapelle Saint-Sébastien , Lanslevillard, Le Massacre des innocents, 15e siècle.

On s’interroge aussi sur le recensement opéré par Quirinius que l’on ne trouve pas dans les annales à cette date. 
Il se peut qu’il y en ait eu deux, l’un connu en + 6 ans, l’autre plus ancien vers – 5-4. 

Et l’étoile ? 
Prudence ! On l’a identifiée à la conjonction de Saturne et Jupiter vers - 7… Dans son livre sur l’enfance de Jésus, Benoît XVI (L’Enfance de Jésus) signale qu’un observateur chinois aurait aperçu un objet céleste inhabituel vers - 4. L’Évangile ne dit pas qu’il s’agit d’un phénomène naturel. Je n’en dirai pas plus.

Où en est le monde au moment de la naissance de Jésus ?
Il est très troublé, en pleine transition. S’installe alors la "paix romaine". Pour la première fois des hommes peuvent passer leur vie sans voir la guerre. Mais la société est bouleversée par ce qui apparaît comme une première mondialisation : le pouvoir de l’empereur est lointain, les écarts de fortune s’élargissent, la fiscalité est écrasante, la pauvreté et le brigandage s’étendent. Les populations, perturbées, s’attendent à des évènements inédits. 

Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.

Pratique

Roland Hureaux, Jésus de Nazareth, roi des juifs, DDB, 2021, 550 pages, 23€.
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