Le jour de Noël 1886, alors qu’il assiste aux vêpres à Notre-Dame de Paris, Paul Claudel est comme illuminé par la foi, qu’il ne quittera plus. Son œuvre littéraire, immense et tout à fait singulière, est emprunte de l’esprit de la Nativité. Elle accorde également une place unique à la Vierge Marie qui l’aura accompagné dans son chemin vers le Christ, celui qu’il a connu en entendant le Magnificat.
Le théâtre claudélien a trouvé comme son achèvement dans Le Soulier de satin, pièce en quatre journées publiée en 1929 mais peu mise en scène étant donné sa longueur (douze heures d’un texte baroque fort éclectique). Son sous-titre à lui seul donne des indications. "Le pire n’est pas toujours sûr" prévient le dramaturge au début d’une intrigue qui relate des amours impossibles entre Prouhèze et Rodrigue.
Des protagonistes qui ne cessent de chercher Dieu
Toute la pièce est alors une tension entre la foi profonde de l’un et l’autre des amants et les appels de la chair. Et, comme couvrant les tableaux de son manteau maternel, la Vierge Marie. C’est à elle que se confie Prouhèze en lui offrant en gage un de ses souliers : "Je me remets à vous ! Vierge mère, je vous donne mon soulier ! Vierge mère, gardez dans votre main mon malheureux petit pied ! […] Quand j’essayerai de m’élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux !" (1ère journée, scène V).
Tout au long de ce texte à la fois burlesque et mystique, les protagonistes ne cessent pas de chercher Dieu – Prouhèze est aidée en ce domaine par son Ange gardien qui la ramène à l’essentiel – qui surgit dans les désirs les plus humains. Comme une méditation sur l’incarnation : Dieu lui-même, en son fils, surgit dans le monde pour purifier nos passions et les ordonner à l’amour vrai.
Plus connue, L’Annonce faite à Marie, publiée en 1912 après plusieurs décennies de manducation, est encore plus explicite. Les scènes du début et de la fin sont ponctuées des sonneries de l’Angelus, prière traditionnelle commémorant le fiat de Marie et l’incarnation du Sauveur. Au milieu des pérégrinations de personnages enserrés dans leurs désirs contradictoires et jaloux, c’est le Seigneur lui-même qui se rend présent. Éternel, Dieu vient dans le temps.
Des mystères qui dépassent l’entendement
Alors que Violaine, contre toute raison et moralité, devient lépreuse après avoir embrassé son amant malade, c’est elle qui, peu à peu, prend le visage de la Vierge Marie jusqu’à faire revivre l’enfant mort de sa sœur Mara, envieuse mais vigoureusement croyante. Comme lors de l’Annonciation, cette pièce narre la "possession d’une âme par le surnaturel" comme l’expliquait Claudel lui-même.
La lèpre de Violaine, comme signe de son péché, la laisse seule dans sa famille, et lui fait même perdre son promis, épousé par sa sœur. Abandonnée et seule, Violaine apprend peu à peu à laisser le Seigneur agir par elle et guérir sa lèpre intérieure à défaut de la préserver de sa maladie. Le surnaturel qu’elle finit par accueillir et qui rejaillit sur toute sa famille devenue capable de pardonner devient la figure de la rédemption. En prenant notre chair tendue vers le péché, Jésus lui-même ne nous montre-t-il pas comment pardonner ?
C’est ce que vous ne comprenez pas qui est le plus beau”
À la lecture, tout cela n’est pas évident. Mais, comme le dit Paul Claudel, "c’est ce que vous ne comprenez pas qui est le plus beau". Que Dieu soit ce petit enfant dans la crèche ou qu’une femme malade puisse susciter la vie, voilà des mystères qui dépassent l’entendement. Mais les contempler doit nous ouvrir aux choses d’en-haut. Comme la nuit qui entoure les deux sœurs, celle aussi des ténèbres de leur cœur et de leur relation, est illuminée par la vie de l’enfant.
Avant tout, L’Annonce est un appel. L’appel à prier sans cesse et avec virulence comme Mara. L’appel à mieux connaître le Christ comme le père, Anne Vercors, qui part à Jérusalem comme soudainement aimanté. L’appel à accueillir la vie que Dieu nous donne, dans son corps livré, dans la mangeoire de la crèche.