Deux semaines. C’est il y a deux semaines seulement que Jacqueline, 82 ans, s’est rendue compte que les textes de la messe n’étaient pas ceux auxquels elle est habituée depuis bien longtemps. Une anecdote charmante qui montre s’il le fallait que le passage à une nouvelle version de la traduction (l’édition originale, ou typique, est en latin) du missel n’a pas suscité de troubles dans la prière des fidèles. Surtout, la chose s’est majoritairement faite avec fluidité dans les paroisses, les nouvelles habitudes s’installant plus facilement qu’imaginé.
Pourtant, en novembre 2021, quand les catholiques de France s’apprêtent à découvrir ces modifications durant l’eucharistie, certains ne comprennent pas. Un mois après la publication du rapport de la Ciase, l’Église en France ne devrait-elle pas plutôt s’occuper d’empêcher toute sorte d’abus au lieu d’une réforme accessoire ? Ceux qui s’interrogent de cette manière n’ont peut-être pas en tête que la nouvelle traduction, demandée par Rome dans toutes les langues vernaculaires, attendait depuis 2002…
Réconfortant pour les uns, irritant pour les autres
Dans les changements eux-mêmes, la mention de "frères et sœurs" notamment lors du Je confesse à Dieu, a réconforté les uns et irrité les autres. Que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, cette mention est fidèle au latin. Elle correspond à l’appellation antique des chrétiens, conscients de leur fraternité (cf. la lettre à Philémon) ; même si certaines occurrences sont des rajouts et que la formule a moins de sens dans les assemblées masculines, au séminaire ou ailleurs.
Quand on interroge donc les fidèles sur leur bilan après un an de pratique avec la nouvelle traduction, les avis sont majoritairement positifs : "Je me fais souvent la réflexion que la prière eucharistique est plus belle", confie Jean. Comme lui, certains sont sensibles au fait que les modifications du rituel, souvent entendu ou récité machinalement, aident à faire davantage attention à ce qui est dit : "Changer permet de redécouvrir le texte que j’entends habituellement d’une oreille distraite", explique par exemple Paul qui est diacre.
Des réponses plus fidèles au latin
Si les réponses des fidèles ont peu changé, celles prononcées par le prêtre, elles, sont plus précises théologiquement et plus fidèles au latin. Dans le credo, le "consubstantiel" remplaçant "de même nature" pourrait ainsi paraître inaperçu, mais Laëtitia, jeune philosophe, est heureuse de cette correction qui est plus conforme à la doctrine christologique. Du côté du célébrant, qui a remarqué qu’il devait bénir – mais nombreux l’oublient ! – "au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit" ? Qui prête attention au "il dit la bénédiction" qui se substitue au "il bénit" au début de la consécration ?
À vrai dire, les subtilités peuvent bien nous échapper, chacun comprend qu’il est important que la prière la plus fondamentale de l’Église, la "source et le sommet" dit Vatican II, corresponde parfaitement à la foi révélée professée. Plus encore, dire des paroles parfois mystérieuses infuse en nous les mots qui justes pour connaître Dieu et en témoigner.
C’est un bon moyen de se souvenir que si chacun commet des péchés, personne ne peut être assimilé à eux.
"Les péchés" ont par exemple pris la place, partout pendant la messe, du "péché", du Je confesse à Dieu au Gloire à Dieu et à l’Agnus, un détail qui passe souvent à la trappe. Mais, témoigne Pierre, "c’est un bon moyen de se souvenir que si chacun commet des péchés, personne ne peut être assimilé à eux. Sans oublier que nous manquons concrètement à l’amour, la formule dit bien que Dieu les pardonne." Cette méconnaissance de ce qui peut apparaître comme théorique à la plupart illustre la nécessité de formation mise en avant par la lettre Desiderio desideravi du pape François sur la formation liturgique du peuple de Dieu. La nouvelle traduction était une occasion parfaite pour se réapproprier la théologie qui sous-tend la prière de l’Église. L’occasion a-t-elle été saisie ?
À l’inverse, un prêtre regrette que la volonté d’être le plus proche possible de la version latine ait conduit à des suppressions. Pendant la Vigile pascale la troisième formule de l’Exultet ("Nous te louons splendeur du Père, Jésus fils de Dieu") connue des fidèles et comprenant un refrain, a ainsi été supprimée. Dans le chapitre des regrets, Clovis estime que le choix de coller à la syntaxe latine ne fonctionne pas toujours en français et entraîne des lourdeurs : "qui est aussi le vôtre", "veuille nous admettre", "ta famille que tu as rassemblée"…des détails, certes, mais le font parfois tiquer.
Un but magnifique mais une tâche immense
La nouveauté la plus marquante a sans doute été le changement du dialogue à la fin de l’offertoire. Le prêtre disait : "Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église" et les fidèles répondaient : "pour la gloire de Dieu et le salut du monde". La formule est toujours proposée, mais lui est préférée celle de l’édition typique. Le célébrant dit : "Que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant" et l’assemblée répond "que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice, à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église".
Beaucoup, prêtres et fidèles, notamment parce que la nouvelle est plus longue à apprendre, regrettent l’ancienne, peu usitée, qui mettait l’accent sur le but du sacrifice eucharistique : le salut du monde. Un but magnifique mais une tâche immense. Celle qui la remplace d’ordinaire précise l’articulation entre prêtre et assemblée et insiste sur la nécessaire participation de chacun à l’œuvre de salut accomplie par le Christ dans sa mort et sa passion.
Restent les détails matériels. Parce qu’avec la nouvelle traduction est arrivée l’an passé une édition totalement rénovée qui semble du goût des célébrants. Plus jolie, plus soignée, plus lisible, elle est aussi assortie de partitions qui ne sont pas de petites aides pour les prêtres qui veulent, comme y invite le Saint-Père, soigner toujours davantage la liturgie, culte rendu à notre Créateur et Sauveur.