Les objets de dévotion religieuse, ringards ? Pas du tout ! Pour preuve, cette boutique assumant ouvertement son attachement à la foi catholique, inaugurée en plein centre de Paris le 10 octobre dernier. Et il ne s’agit pas d’un coup d’essai. Catho Retro, concept store chrétien fondé par trois jeunes femmes, rencontre un vif succès depuis l’ouverture, en 2016, de sa première boutique à Marseille, au pied de la Bonne Mère. Il s’est désormais fait une place dans la très chic rue de Mézières (Paris 6e), entre les librairies La Procure et Téqui. Un emplacement de choix pour cette jolie boutique d’objets religieux dans l’air du temps, et la preuve que les "bondieuseries" ont, contre toute attente, le vent en poupe.
Un phénomène paradoxal puisque la pratique de la religion catholique est en recul en France. Une tendance confirmée par une récente étude de l’Ifop pour la revue Mission qui révélait que seuls 59% des 18-24 ans étaient baptisés, et que 3% des Français allaient à la messe tous les dimanches. Pourtant, le marché des objets religieux est relativement florissant, dynamique, et accueille de plus en plus d’acteurs. Si les premiers arrivés restent solidement ancrés dans la tradition catholique, les derniers ont plutôt tendance à élargir leur gamme pour répondre à une quête de spiritualité au sens large.
Catho Retro et Godsavetheking, les pionniers
Armelle Pecqueriaux et ses deux acolytes, Marjolaine et Fanny, toutes trois fondatrices de Catho Retro, ainsi que Emilie Broders et sa sœur Pauline, créatrices de la marque Godsavetheking, ont été, chacune de leur côté, les instigatrices d’un nouveau genre de boutique apparu en 2015 et 2016. Des boutiques en ligne ou physiques qui ont à cœur de proposer des articles religieux dans l’air du temps. Exit les statues ringardes et les cartes vieillottes. Elles ont pour ambition de dépoussiérer l’univers catholique en proposant des produits au design tendance : objets de déco, images pieuses, bijoux agrémentés de symboles chrétiens… Leur foi est ouvertement assumée, et s’exprime à travers de jolis objets, triés sur le volet ou de leur propre création. "La patte Catho Retro, c’est ce côté classique, respectueux de la tradition, mêlé à une ambiance tendance et à un ton décalé", confie Armelle Pecqueriaux. Même intuition chez Godsavetheking : le côté moderne a quelque chose d’attrayant et permet de toucher davantage de personnes, parfois même éloignées de la foi mais qui sont attirées par la qualité, l’originalité ou la ligne du produit.
Un concept qui marche du feu de Dieu ! Catho Retro emploie aujourd’hui sept salariés et vient d’ouvrir sa deuxième boutique à Paris. Elle nourrit même le rêve d’en ouvrir une un jour à New York ! Quant à Godsavetheking, il affiche une croissance constante depuis sa création en 2015. Une belle progression qui a permis aux deux sœurs fondatrices, Emilie et Pauline, de quitter leurs boulots respectifs en 2018, puis d’embaucher en 2021 leur cadette, Charlotte.
L’une des raisons de leur succès ? Sans aucun doute le fait de répondre à une forte demande. En 2015, il n’y avait quasiment pas d’offre en matière d'objets religieux résolument inscrits dans l'air du temps. Catho Retro et Godsavetheking ont cette histoire en commun : ils ont été créés en raison d’un besoin personnel éprouvé par les fondatrices. Armelle Pecqueriaux se souvient avoir dû dépenser une somme folle pour acheter des goodies pour le baptême de son fils. N’existait sur le marché que des produits chers et qui ne lui plaisaient pas. De son côté, Pauline, artiste dans l’âme, s’était finalement mise à dessiner elle-même les signets à l’occasion du baptême de son fils, ne trouvant rien à son goût dans le commerce.
Un coin spi chez 123 Famille et Haut les cœurs
Si le concept store de Catho Retro joue pleinement la carte catholique – ange gardien à l’entrée, chapelets, croix et autres jolies bondieuseries en vitrine -, d’autres enseignes se font plus discrètes mais n’en distillent pas moins les valeurs chrétiennes. C’est le cas de la boutique parisienne 123 Famille, dans le 15e, proposant des jeux sains, de bons livres et des objets de déco destinés aux familles. S’il y a bien un rayon "spiritualité" abondamment fourni, ce n’est pas ce qui saute aux yeux en entrant dans le magasin. "Les clients viennent d’abord pour les jeux, le cœur de cible est la famille, mais cela ne nous empêche pas de témoigner discrètement de notre foi, sans pour autant la revendiquer haut et fort", explique Diane de Langalerie, qui a rejoint il y a quelques années l’entreprise familiale créée par ses parents en 1995. Ce positionnement subtil passe notamment par le lancement, en juin 2022, de leur propre marque : Gratia. Une marque ayant pour ambition de rendre tendance les symboles chrétiens, à travers des bijoux et des images religieuses. "Le but est de pouvoir porter ces bijoux au quotidien, de les associer avec d’autres, et d’assumer ainsi sa foi de manière discrète", précise Diane.
Inclure dans des objets du quotidien de discrets symboles chrétiens, c’est également la ligne adoptée par la jeune marque Haut les cœurs. Lancée le 15 août 2021, cette "marque de mode et déco subtilement catho", selon les mots des fondatrices Aurélie Debaecker et Marie Evenas, revendiquent des créations avec un double niveau de lecture : des bougies, des sacs, des trousses, des T-shirts, des tasses à café, tout ceci auréolé d’un cœur sacré plus ou moins discret… Des objets qui s’adressent à ceux qui y reconnaîtront l’amour du Christ, mais aussi aux néophytes.
Caladia et Resplandor, les petits nouveaux
C’est certain, le concept store catholique fait des émules. Le mois d’octobre 2021 a vu émerger deux nouveaux acteurs sur ce marché de niche : Caladia, dont le nom évoque une plante aussi surnommée "le cœur de Jésus", marque de textiles et de papeterie puisant son identité dans la foi chrétienne, et Resplandor, boutique spécialisée dans des objets de déco inspirés des ex-voto. La crise sanitaire et les confinements successifs liés au Covid ne sont pas étrangers à une demande qui visiblement ne cesse de croître. Un désir de spiritualité, une quête de sens, un retour aux racines chrétiennes, se font clairement sentir. "La période de Covid a fait naître des questions, a réveillé chez certains un besoin de se recentrer sur l’essentiel, et de s’appuyer sur l’espérance chrétienne qui réchauffe le cœur", abonde Armelle Pecqueriaux. Un engouement pour les objets religieux observé également par Diane de Langalerie et Emilie Broders.
Si les boutiques cathos se multiplient, en raison d'une demande accrue, leur positionnement reste bien marqué. Les nouveaux acteurs sont de toutes petites structures, qui ne s’éparpillent pas. Resplandor est positionné uniquement sur les ex-voto, très tendance actuellement. Quant à Caladia, dont chaque collection est pensée au fil du calendrier liturgique et déclinée autour d’une fleur, ses produits phares sont les langes de bébé aux imprimés clairement catho (agneaux ou symboles mariaux), et les sweats pour les femmes.
La collection Pluie de roses, agrémentée de broderies fleuries et inspirée de sainte Thérèse, a connu un début très encourageant : "Nous avons écoulé l’intégralité de nos sweats en trois semaines", se félicite Geneviève de Besombes, cofondatrice, avec Alix Pichelin, une amie d’enfance, de Caladia. Prochain produit lancé par la marque : une collection limitée de poupées de tissus à l'effigie de la Vierge Marie et de sainte Thérèse.
J’ai vu la Vierge, Boncœurs, de la mode ou un acte de foi ?
Fait intéressant, il n’y pas que les catholiques convaincus et pratiquants qui lancent des marques ou des produits connotés cathos. D’autres enseignes se saisissent également de l’attrait actuel pour le spirituel, et font côtoyer grigris et ex-voto, Vierge Marie et cartomancie. Ainsi, la marque lyonnaise Boncœurs, créée par deux sœurs en 2018, propose des objets de déco et notamment des ex-voto, inspirés de l’art religieux mais aussi de la spiritualité indienne. A Marseille, l’e-shop J’ai vu la Vierge, lancé en 2018 également, commercialise, aux côtés de statuettes de Marie déclinées dans des couleurs flashy, des bougies "oracle tarot de Marie" dévoilant des messages secrets...
Certaines marques se risquent donc à mélanger religion et superstition, et touchent ainsi un public plus large que les seuls catholiques pratiquants. Une clientèle sensible à une pratique plus populaire de la religion, mise en lumière par l’enquête de l’Ifop pour Mission : 53% des baptisés qui se déclarent non croyants reconnaissent néanmoins allumer des cierges dans les églises. Une tendance accompagnée d'une vraie demande, qui donne lieu à l’émergence de boutiques d’objets religieux très éclectiques.