Le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque émérite de Bordeaux, a reconnu s’être conduit de « façon répréhensible » avec une jeune fille de 14 ans, alors qu’il était prêtre dans le diocèse de Marseille, il y a 35 ans. Dans le journal La Croix, sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieuses et religieux de France, qui a été en lien en février dernier avec la femme accusant le cardinal Ricard, assure que celle-ci avait écrit au pape « la première fois il y a environ cinq ans ». Sa lettre n’avait a priori pas obtenu de réponse de Rome. Se pose aujourd’hui la question de savoir si ce courrier était bien parvenu sur le bureau du pontife argentin.
L’agence I.Media a contacté plusieurs personnes travaillant à la Curie romaine pour comprendre les circuits par lesquels les courriers adressés au pape circulent et sont traités habituellement. Impossible de savoir précisément le nombre de lettres qui arrivent chaque semaine au Vatican. Mais il en provient du monde entier, chacun pouvant envoyer librement un courrier adressé au pape François. « Quand une personne lambda écrit au pape, son courrier est trié et transmis selon la langue ou selon le pays d’origine dans la section de la secrétairerie d’État qui lui correspond », indique un official de la curie.
Ainsi, un courrier provenant d’Afrique pourra être traité par la section anglophone ou francophone de la secrétairerie d’État. « Un courrier d’un Français ira dans la section francophone même si l’auteur a écrit en espagnol pour faire plaisir au pape », explique encore cette source. Arrivée sur un bureau de la section des affaires intérieures de la secrétairerie d’État – placée sous la direction du substitut -, le courrier est lu par un official ainsi qu’un supérieur. S’il s’agit d’une simple lettre sans enjeu particulier, comme des vœux d’anniversaire, la secrétairerie d’État répond au nom du pape.
Si c’est pour dénoncer un problème, on évalue la nature du problème et qui est compétent pour le gérer.
« Si c’est pour dénoncer un problème, on évalue la nature du problème et qui est compétent pour le gérer », explique-t-on. Ainsi, si le problème concerne une paroisse au Moyen-Orient, on transférera par exemple la lettre au dicastère pour les Églises orientales. Si elle concerne un évêque, elle sera transmise au dicastère pour les Évêques, etc. Est alors rédigé un “appunto”, soit une note, qui précise la nature de la lettre et mentionne que la secrétairerie d’État n’y répondra pas, indique un autre official. Le dicastère en question s’en chargera.
« Dans l’absolu, on répond à chaque fois »
À la Curie, on assure que, « dans l’absolu, on répond à chaque fois ». Mais dans la pratique, il arrive que cela ne soit pas le cas, notamment lorsqu’une personne « passe son temps à écrire » au Vatican. « Parfois, on ne répond pas pour ne pas alimenter une correspondance absurde », avoue un employé de la Curie. Selon la matière, grave ou non, le contenu du courrier est étudié et les arguments vérifiés. « On envisage une procédure ou pas », raconte l’official qui assure que, dans son dicastère, « tous les courriers sont lus par les supérieurs » et que « cela prend du temps ». Le dicastère répond ensuite au nom du pape. Derrière les murs du Vatican, on prévient qu’il ne faut pas croire que « le pape sait tout sur tout, partout et tout le temps ». « Rome est lente parce que beaucoup de choses sont en jeu derrière », souffle-t-on.
Si ça touche un cardinal, le pape est forcément mis au courant à un moment ou un autre.
Difficile de savoir précisément quels courriers arrivent in fine sur le bureau du pape François. « Pour les anniversaires par exemple, le pape recevra un dossier précisant qu’il a reçu tant de bons vœux, avec les répartitions par zones géographiques, et quelques spécimens de lettres », avance un employé qui assure cependant que « toutes les choses graves arrivent sur son bureau ». Et d’ajouter : « Si ça touche un cardinal, le pape est forcément mis au courant à un moment ou un autre ».
Un complément d'information ?
Dans le cadre de l’affaire Ricard, si un courrier a bien été envoyé il y a cinq ans – comme le rapporte Véronique Margron -, le signalement a dû être transmis « soit à la congrégation pour la Doctrine de la foi [dirigée il y a 5 ans soit par le cardinal Ladaria Ferrer, soit par le cardinal Gerhard Ludwig Müller, parti en 2017, NDLR], soit au dicastère pour les Évêques dirigé par le cardinal Marc Ouellet », souligne l’official. Il estime alors qu’un complément d’information aura « certainement » été demandé au nonce en France. « Mais ensuite qu’a-t-il fait, était-ce prescrit ou non, y avait-il matière ou non ? ».
Dans l’entretien accordé à La Croix, sœur Véronique Margron raconte par ailleurs que la victime, n’ayant pas obtenu de réponse après sa lettre, a averti le nonce apostolique en France en « mai-juin » 2022. « Le nonce a accusé réception de son courrier en octobre », a ajouté la religieuse française. Le Vatican a fait savoir ce 11 novembre qu’il ouvrait une enquête préliminaire. Celle-ci pourrait permettre de faire la lumière sur le fond de l’affaire et sur la manière dont elle a été gérée par Rome.