28 septembre 1922. Dans le silence d’un couvent de Vérone, sur les rives de l’Adige, entre Venise et Milan dans le nord de l’Italie, un jeune homme revêt la bure de l’ordre des Frères mineurs capucins. Fils de Giacomo Filon, "un vrai honnête homme et un vrai chrétien", veuf remarié à Giuseppina Marin, Beniamino Filon est le huitième enfant des secondes noces de son père. Le couple que forment ses parents, modèle d’amour conjugal et de piété simple, éveille très tôt son cœur aux "choses du Ciel", alors même que la mort accable la famille Filon emportant avec elle sept de ses quinze frères et sœurs nés des deux mariages de son père. La vie de cette famille, profondément chrétienne, est douce et empreinte d’une sainte austérité. "Dans notre maison, décrit une de ses sœurs, venaient toujours des prêtres et des frères qui étaient accueillis comme des membres de la famille". Au procès de béatification, un observateur témoigne : "Quand l’heure du repas arrive et que la soupière est sur la table, tous, y compris la mère, attendent le père et quand il arrive tous se lèvent, en signe de respect. On fait un signe de croix, on récite la prière. Le père sert la soupe dans les assiettes et personne ne se plaint".
L’amitié qu’entretiennent ses parents pour les frères quêteurs le marque dès son plus jeune âge et éveille en lui les premiers signes de la vocation religieuse. "Il fut toujours un bon garçon, humble, obéissant, pieux et séparé du monde, témoigne le curé de sa paroisse, Don Trentin. Il a passé son enfance et sa jeunesse entre la maison familiale, l’église et le presbytère. Il fut toujours à Dieu". Beniamino est un enfant calme, que rien n’importune, pas même les chamailleries de sa grande fratrie. "Il ne se plaignait jamais et supportait tout, écrit son frère, Francesco. Il était toujours prêt à aider bien volontiers la mamma et ses frères en toutes circonstances". C’est tout naturellement qu’il soumet à Don Trentin son désir d’entrer chez les capucins pour embrasser une vie de pauvreté, de solitude et de prière. Beniamino a 22 ans lorsqu’il prononce ses premiers vœux religieux et reçoit le nom de Giacomo de Balduina, du nom du village de son enfance, dans le silence du couvent de Bassano.
Ses difficultés à l’étude et sa timidité découragent pourtant le Maître des novices qui tente de le dissuader de poursuivre ses années de noviciat : "Cher fils, tu n’es pas fait pour être religieux : tu ne réussis pas dans tes études, tu es trop timide pour faire la quête, tu ne sais rien faire d’autre que prier". C’est alors que les premiers signes d’une maladie déjà pressentie durant son enfance, un parkinsonisme post-encéphalitique, l’emprisonnent dans un corps qu’il ne maîtrise plus. Fra Giacomo persiste et est finalement ordonné prêtre en 1929 pour consacrer dans le silence "une vie dont les hommes ne savaient pas quoi faire". Sa santé lui interdit dès lors de partager tous les aspects de la vie communautaire et le cloître dans une seconde cellule, celle du confessionnal où son extrême humilité fait arriver à lui des foules de croyants venus chercher entre ses mains le pardon de Dieu.
Loin d’être un brillant orateur, il se consacre entièrement au ministère de la confession dans "une existence dépourvue de tout attrait aux yeux des hommes, une vie sans titre universitaire, sans responsabilité ecclésiale, sans initiative pastorale innovante, une vie qui s’est laissée transfigurer par le Saint-Esprit pour devenir un lieu où les fidèles, et particulièrement les prêtres, pouvaient faire l’expérience de la proximité et de la bonté de Dieu".
De sa dévotion particulière pour Notre-Dame de Lourdes naît un grand désir : celui de se rendre auprès de la Vierge de Massabielle, non pas pour guérir de sa lourde maladie, mais pour mourir dans les bras de Marie et entrer enfin dans le repos du Seigneur comme l’ouvrier après une longue journée de labeur. Parti en pèlerinage en 1945, après 35 heures d’un voyage éprouvant, il arrive enfin à Lourdes, avant d’expirer, paisible, seulement quelques heures plus tard. "Voilà un pèlerin malade qui n’a même pas pu aller jusqu’à la grotte parce que le voyage en train l’avait épuisé, un pèlerin handicapé qui n’a pas été guéri, mais qui a laissé, à Lourdes, le souvenir d’un saint. Sa tombe, fleurie depuis 1948, est l’objet d’un pèlerinage constant de la part des fidèles de nombreux pays". Yves Chiron compose la biographie touchante et édifiante de l’humble confesseur d’Udine dont le procès de béatification, ouvert en 1984, a révélé au monde l’exemplarité d’une vie toute faite d’abandon, d’humilité et de confiance ; une vie qui enseigne la "sagesse de la Croix, à laquelle le monde d’aujourd’hui est particulièrement allergique alors qu’il en a absolument besoin".
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