Lors de sa rencontre au Canada, le 27 juillet dernier, avec les autorités civiles, les représentants des peuples autochtones et le corps diplomatique, le pape François a utilisé l’expression de "colonisation idéologique". Cette expression fait partie des formules habituelles du Saint-Père, comme d’autres tout aussi évocatrices ("tout est lié", "le temps est plus important que l’espace", "aller aux périphéries" …). François l’a employée à maintes reprises. Par exemple, au cours du vol de retour des Philippines, le lundi 19 janvier 2015, lors de sa rencontre à Tbilissi (Georgie, 2016) ou encore le 10 septembre 2019 : "Aujourd’hui, il n’y a pas de colonisations géographiques — du moins pas beaucoup... —, mais il y a des colonisations idéologiques, qui veulent entrer dans la culture des peuples et changer cette culture et homogénéiser l’humanité... la colonisation idéologique cherche à effacer l’identité des autres pour les rendre tous pareils."
Ou encore, lors de la rencontre avec les membres de l’Assemblée générale de l’ONU (25 septembre 2015) évoquant la tentation de "promouvoir une colonisation idéologique à travers l’imposition de modèles et de styles de vie anormaux, étrangers à l’identité des peuples et, en dernier ressort, irresponsables".
Des idéologies qui déconstruisent
L’expression de "colonisation idéologique" manifeste la confrontation de deux modèles d’universalité dans le monde d’aujourd’hui : l’uniformisation imposée par des instances idéologiques étrangère aux destins des peuples, et celui d’une universalité respectant les modèles culturels propre à chaque pays, chaque nation. C’est ainsi que le Pape en parle dans deux documents officiels. D’abord dans l’exhortation apostolique Querida Amazonia (2020) : "De même qu’il y a des potentialités dans la nature qui peuvent se perdre pour toujours, la même chose peut arriver avec les cultures qui portent un message non encore écouté, cultures plus que jamais menacées aujourd’hui."
En recommandant la lecture du roman apocalyptique véritablement prophétique de R. H. Benson, Le Maître de la Terre (1907), le Pape disait : "En le lisant, vous comprendrez bien ce que je veux dire par “colonisation idéologique”" (19 janvier 2015). Dans l’exhortation Christus Vivit (25 mars 2019) ensuite, adressée aux jeunes, le Pape met "les points sur les i" :
"Dans de nombreux pays pauvres, les aides économiques de pays plus riches ou d’organismes internationaux peuvent être liées à l’acceptation de propositions occidentales ayant rapport à la sexualité, au mariage, à la vie ou à la justice sociale. Cette colonisation idéologique nuit surtout aux jeunes… S’il vous plaît, ne vous laissez pas acheter, ne vous laissez pas séduire, ne vous laissez pas asservir par les colonisations idéologiques… C’est ainsi que fonctionnent les idéologies de toutes les couleurs, qui détruisent (ou dé-construisent) tout ce qui est différent et qui, de cette manière, peuvent régner sans opposition."
Une guerre culturelle
Cette expression de "colonisation idéologique" est en continuité directe avec la pensée des papes Jean-Paul II et Benoît XVI sur les idéologies contemporaines. Le premier, dans son dernier livre Mémoire et Identité, parle des "idéologies du mal", qui voulaient détruire toute culture en Europe dans la première partie du XXe siècle (communisme soviétique et nazisme). Le second a montré, dans toute son œuvre, le développement de la "dictature du relativisme", se répandant actuellement par les idéologies déconstructivistes et le wokisme.
À cet universalisme mortifère, déracinant l’homme de sa culture, (...) le catholicisme oppose la défense des cultures propres de chaque nation, avec un véritable universalisme, fondé sur la vocation des peuples
Lors de ce pèlerinage pénitentiel au Canada, le pape François rappelle donc le drame de la guerre culturelle de la mondialisation que nous vivons, à la racine des conflits actuels : l’uniformisation d’un modèle idéologique hors-sol qui détruit en l’homme l’image de Dieu (méditation quotidienne du 1er juin 2018) sur la seule loi du libéralisme économique et moral, réduisant l’homme à n’être qu’un produit jetable de la société de consommation mondialisé. À cet universalisme mortifère, déracinant l’homme de sa culture, de son histoire, de son milieu naturel, le catholicisme oppose la défense des cultures propres de chaque nation, avec un véritable universalisme, fondé sur la vocation des peuples (voir M. Detchessahar, La Nation, chemin de l’universel, DDB 2022). L’universalisme de la consommation ou l’universalisme de la fraternité : il nous faut maintenant choisir clairement entre deux conceptions de l’homme et de la politique.