"De belles victoires pour les familles et un grand pas pour l’intérêt supérieur de l’enfant !", s’est réjoui Me Antoine Fouret, avocat des familles concernées. Le 10 octobre dernier, le tribunal administratif de Rennes a rendu une dizaine de jugements annulant des refus d’autorisations d’instruction en famille. Une première, depuis que la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite aussi loi contre les séparatismes) soumet les familles à un régime d’autorisation pour faire l'école à la maison. "C’est la première fois qu’un tribunal administratif statue au fond sur une demande d’annulation d’un refus d’autorisation pour l’instruction en famille", précise à Aleteia Maître Louis le Foyer de Costil, avocat à Paris. "Avant cela, il y a eu des décisions du juge des référés, mais à Rennes, il s’agit de jugements au fond, pris de manière collégiale. Cela a plus de poids et peut inspirer les autres juges pour les recours en cours et les contentieux des mois à venir."
En juin 2022, environ 72.000 enfants, soit 0,5% des élèves en France, bénéficiaient du système de l’instruction en famille, selon les données du ministère de l’éducation nationale. En septembre, si la grande majorité des demandes d’instruction en famille ont bénéficié d’une dérogation dans la mesure où il s’agissait d’une reconduction, 5.000 nouvelles demandes, concernant des enfants encore jamais scolarisés à la maison, ont été refusées par l’administration. Selon une enquête de la CooPLI (Coordination Pour la Liberté d’Instruction), 68% des premières demandes auraient été refusées pour la rentrée 2022. Un pourcentage atteignant presque 100% dans les académies de Toulouse, Orléans, Tours, Dijon et Versailles.
La "situation propre à l’enfant"
"La loi a changé la donne du tout au tout", explique Maître Louis le Foyer de Costil. "On est passé d’un régime de déclaration, avec des contrôles a posteriori, à un régime d’autorisation, avec des motifs bien spécifiques." La loi définit ainsi quatre motifs, pour lesquels les parents peuvent demander l’autorisation de faire l’école à la maison : l'état de santé de l'enfant ou son handicap, la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives, l’itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public, et enfin l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif.
Familles et rectorats s’écharpent sur l’interprétation de la notion de "situation propre à l'enfant."
C’est notamment sur ce quatrième motif, aux contours mal définis, que les contentieux ont émergé. "Familles et rectorats s’écharpent sur l’interprétation de la notion de "situation propre à l'enfant." On ne sait pas s’il s’agit d’une situation spécifique de l’enfant, ou un projet pédagogique spécifique", souligne l’avocat. "Le tribunal administratif de Rennes a considéré que les textes n’ont pas imposé de justifier une situation spécifique de l’enfant mais d’un projet éducatif comportant les éléments essentiels de l’enseignement et porté par une personne ayant les qualités requises." Une interprétation très large et favorable aux familles.
Autre sujet de contentieux : les contrôles erronés ou absents. Une famille, qui avait en principe l’autorisation de plein droit de continuer l’instruction en famille dans le cadre du régime transitoire accordé pendant deux ans, s’est vue refuser sa demander faute de contrôle. Le tribunal administratif de Rennes a considéré que cette carence était imputable à l’académie et non à la famille. Après les jugements au fond, le rectorat pourrait contester les décisions en appel. Le conseil d’État pourrait alors être amené à trancher et harmoniser l’interprétation des tribunaux administratifs.
Inégalités entre les territoires
Pour Maître Louis le Foyer de Costil, dans le délicat domaine de l’instruction en famille, "l’état du droit n’est pas encore fixé". Et pour preuve, la forte disparité entre les territoires. "Les juges sont partagés, certains vont dans le sens des familles quand d’autres suivent le rectorat. À dossier équivalent, la décision ne sera pas la même selon les juridictions". Une disparité reconnue par le ministre de l’Éducation nationale lui-même, Pap Ndiaye, lors de son audition devant la commission des affaires culturelles le 2 août dernier : "Dans certains départements, c’est un non très massif. Dans d’autres, les académies fournissent des réponses plus ouvertes. Nous devons absolument équilibrer les choses à l’échelle du pays pour limiter ces écarts. Il nous faut harmoniser et, pour cela, instruire les services académiques."