Juste avant de mourir en 1591, le jésuite François de Ribera, confesseur de Thérèse d’Avila, eut le temps de publier une vie de la grande réformatrice. Il décrit ainsi les derniers instants de la sainte le 4 octobre 1582 : "Elle meurt dans le déchirement et la transe de l’amour définitivement vainqueur, / Couchée sur le côté gauche, après une agonie de quatorze heures !" (Vie de sainte Thérèse, 1590). La violence de cette ultime extase, suprême extase, détacha l’âme du corps, comme une sorte d’écorchement spirituel éliminant tout ce qui n’était plus nécessaire. Telle fut l’entrée dans l’éternité de cette femme forte qui intimide par les grâces extraordinaires dont elle bénéficia et la profondeur de ses écrits.
Allumer une lampe
Pourtant, Thérèse nous dit bien que sa voie n’est pas exceptionnelle et qu’elle peut être emprunté par chacun. Elle souligne que, si nous ne recevons pas la grâce, c’est parce que nous fermons notre fenêtre. Certains hommes rejettent la semence, souvent car pleins déjà d’autre chose qu’ils regardent comme plus nourrissant. Ce fut la réaction du peuple élu face au Messie. Dans le Livre des demeures, sainte Thérèse développe le thème du soleil et de l’âme plongée dans les ténèbres. L’homme est enfermé, par sa faute, dans une geôle obscure. Pour s’en délivrer, deux solutions : allumer une lampe ou bien forcer la porte de la prison. Cette seconde possibilité est la plus efficace mais la plus douloureuse. Thérèse a choisi la liberté… en s’enfermant dans un cloître où elle cultiva la lumière. Paul Claudel, lecteur assidu de ses écrits mystiques, en parlera en ces termes :
Le poète parlera comme Mère Thérèse dans l’ode qu’il lui consacra :
Recevoir le Soleil de l’âme
Thérèse reçut la grâce, terrible, de contempler une âme saisie par le péché. De cette expérience spirituelle, elle en retira l’enseignement suivant, pour ses "filles", les carmélites :
La constatation n’est point désespérante car, justement, tout homme a en lui la capacité de répondre librement à l’infusion de la lumière. La grande Thérèse secoue la timidité et la crainte de ses religieuses qui ont parfois tendance à abandonner la partie :
Pas de découragement
Elle est bien sûr cette "certaine personne", alors plongée dans les ténèbres. Dans son autobiographie, elle avoue : "J’ignorais à ce moment que l’âme pût voir autrement que par les yeux du corps" (Vie par elle-même). Une fois cette libération accomplie, l’âme ne connaît rien de comparable à une telle jouissance :
Cependant, cette mystique est réaliste, ô combien, et elle sait que le soleil se cache souvent derrière les nuages et que notre état peccamineux repend le dessus. Elle est très ferme en ce domaine : pas de découragement conduisant à fléchir dans l’oraison et la dévotion. Bien au contraire, il faut se mobiliser :
Rentrer en amitié avec Dieu
L’équilibre est instable pour celui qui baisse les bras et qui n’essaie pas de se relever lorsqu’il a trébuché, mais il demeure stable pour l’âme qui s’accroche à la prière, quelles que soient les adversités et les fautes. Magnifique message d’espérance pour tous ceux qui luttent et qui pleurent des larmes de sang :
La grande Thérèse, bien loin de nous confondre par ses élans mystiques, nous prend par la main et nous conduit de plus en plus haut, en nous relevant de la médiocrité de notre vie intérieure. Elle vient nous chercher au plus bas car elle-même a été longtemps embourbée dans une tiédeur mortelle. Elle nous fait gravir l’escalier, marche après marche.