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Comment les réseaux sociaux écrasent le débat

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Jeanne Larghero - publié le 14/10/22
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La mutualisation des contenus de l’information sur les réseaux sociaux est-elle un progrès ? Dans les faits, observe la philosophe Jeanne Larghero, ces nouveaux médias écrasent les espaces de liberté intérieure nécessaires au débat et au discernement. La solution : lire des livres !

Depuis quelques mois, les documentaires accusant les réseaux sociaux de manipuler les foules se succèdent les uns aux autres. Entre naïveté et paranoïa, comment se situer ? Une vision simpliste des nouvelles technologies de communication nous incite à ne voir en ces dernières que de simples moyens de partage d’informations, à charge pour les utilisateurs d’en faire bon usage. Par exemple, on dira des applis comme Tik Tok, Instagram ou Snapchat qu'elles peuvent être abrutissantes et chronophages, mais également instructives et détendantes, ​​d’ailleurs certains en font même une voie d’évangélisation

Aucun média n’est neutre

En réalité, aucun média n’est neutre. Tout d’abord pour une raison de format. On sait que le nombre contraint de caractères sur Twitter oblige à une forme de discours spécifique : on privilégie le percutant, le propos qui fait mouche, la formule qui claque. Le propos évacue alors la nuance, la prise de position argumentée, au profit de la pétition de principe ou du résumé simpliste. Faire court est tout un art, en revanche estropier une pensée est une pratique qui ne forme ni au débat, ni à l’esprit critique. Sauf à confondre débat et polémique, argumentation et provocation. 

La mise en réseau potentielle de la moindre photo, de la moindre déclaration a pour effet d’effacer la séparation entre la sphère privée et la sphère publique.

Par ailleurs, la mise en réseau potentielle de la moindre photo, de la moindre déclaration a pour effet d’effacer la séparation entre la sphère privée et la sphère publique. N’importe quelle photo de vous prise avec un smartphone vous expose à retrouver votre tête dans des centaines d’autres smartphones, assortie de commentaires au mieux élogieux, au pire insultants : et comme on ne peut pas contrôler absolument son image, il ne nous reste plus qu’à surveiller notre comportement, au cas où. 

Une uniformisation appauvrissante

On pourrait penser, ou même espérer que cette surveillance mutuelle participe à une moralisation de la vie collective : on constate qu’il n’en n’est rien. Bien au contraire, cette mutualisation des contenus crée une uniformisation appauvrissante des échanges. La raison est simple : dès lors que ce qui est exprimé dans la sphère intime peut finir sur la place publique, dès lors que la sphère privée est également une place publique, les mécanismes d'auto-censure s’activent. On se tait, ou on se conforme au discours ambiant, soit par inertie, soit par peur de la réaction du groupe, par peur du jugement collectif, de l’opinion dominante, ou par crainte de tout ce qui fait autorité.

Or le débat et la confrontation sereine de convictions divergentes est une condition de l’exercice du discernement : en leur absence, bien et mal sont caricaturés et confondus en expression du permis et du défendu. Quand on sait que ce processus d'effacement entre la sphère privée et la sphère publique est ce qui préside à la mise en place de tous les systèmes totalitaires, cela fait réfléchir. Moralité, ne nous gavons pas de documentaires déprimants, mais achetons plus de livres et moins de smartphones. Ayons le courage de ne pas fournir nos enfants en gadgets technologiques et forfaits illimités, et soyez sûrs que ceux qui ont eu la chance d’échapper au moins pendant le temps de l’adolescence à la tyrannie des réseaux sociaux en remercient aujourd’hui leurs parents.

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