Cette semaine, le nouveau roi Charles III devient "souverain de l’ordre de la Jarretière"... On reproche assez souvent à nos voisins anglais de ne pas faire comme tout le monde : entendez, comme nous les Français. Ils conduisent à gauche, cuisinent du cake aux rognons, et décernent avec le plus grand sérieux des jarretières aux plus hauts représentants du royaume. Mais peut-on leur reprocher d’adopter une formidable devise dans la langue de Molière (la nôtre) plutôt que dans celle de Shakespeare (la leur) ? Car cocorico ! La devise de l’ordre le plus prestigieux, celui de la Jarretière (ce qui dénote bien un joyeux anticonformisme), vient du français, et est apposée, en lettres d’or, sur ruban bleu contre la façade du château de Windsor.
Une histoire de jarretière
"Honi soit qui mal y pense" (honi en vieux français), que peut bien vouloir dire cette formule alambiquée ? Cette devise, en tous cas, vous servira plus souvent plus souvent qu’une jarretière. Alors, d’où vient cette expression à adopter de toute urgence ? D’une légende qui rappellera peut-être de mauvais souvenirs à certaines. Une malheureuse jeune femme constate en plein bal que la jarretière censée tenir son bas a pris la poudre d’escampette, et que son ruban se retrouve donc sur ses chaussures. Désarroi total, vous imaginez bien ! Essayez de raccrocher ce bazar discrètement en plein bal : tous ceux qui ont eu à déplorer la défection, au mauvais moment, d’un bouton, d’un élastique capital ou d’une fermeture éclair comprendront… Grandiose, le roi Édouard III vole à son secours et à ses pieds, avant que moqueries et plaisanteries mal placées ne fusent. Il accroche la jarretière à sa propre jambe en déclarant "honni soit qui mal y pense". Il promet par ailleurs à la comtesse que ceux qui raillent aujourd’hui se battront plus tard pour porter cet insigne prestigieux.
Cette devise peut être considérée comme un hommage rendu à la pureté de cœur et d’intention, au sens propre du terme.
Autrement dit ? Honte à celui qui voit de mauvaises pensées là où il n’y en n’a pas ! Honte à celui qui prête aux autres des intentions sournoises sans raison aucune. Honte à celui qui invente des sous-entendus, fait soupçon de malveillance, intente des procès d’intention à tout bout de champ. Une plaisanterie sur les voyages en char à voile ? Vous voilà sur le banc des accusés au grand tribunal de l’écologie populaire. Un compliment dans un couloir ? Le procès pour harcèlement n’est pas loin. À ce rythme-là, on a vite fait de "cancelliser" tout ce qu’on soupçonne du pire, sans se donner la peine de comprendre.
Hommage à la pureté du cœur
Cette devise peut être considérée comme un hommage rendu à la pureté de cœur et d’intention, au sens propre du terme. Dans son sens premier, "pur" veut dire "sans mélange", comme on dit d’un métal qu’il est pur, sans alliage. Le cœur pur est un cœur sans mélange, qui ne voit pas de duplicité partout, tout simplement parce qu'il ne la porte pas en lui-même. C’est regarder et écouter quelqu’un en lui faisant crédit de bonne foi : s’il me dit ça, c’est qu’il dit vrai, et s’il dit faux, c’est peut-être par ignorance et non par perversion… C’est aussi prendre plaisir aux bonnes choses sans culpabiliser, ni culpabiliser insidieusement les autres.
Honni soit qui mal y pense, c’est au fond un appel à une certaine forme d’élégance et de générosité, placée quelque part entre les yeux, les oreilles et le cerveau, entre ce que je vois et l'analyse que j’en fais. Volons au secours de celle qui a malencontreusement perdu sa bretelle avant de la soupçonner de racolage, de celui dont la langue a fourché avant de l’accuser de malveillance ; prenons les choses avec simplicité. Et remercions au passage la mode d’avoir oublié la jarretière, accessoire totalement dénué de fiabilité.