Silviu Purcarete est un metteur en scène itinérant, passant du théâtre à l’opéra comme il passe d’un pays à l’autre, de l’Angleterre au Japon. En 1995, entre autres récompenses, il reçoit le Golden Globe Peter Brook du meilleur metteur en scène. Après avoir monté des opéras de Rachmaninov ou Prokofiev, il n’est pas étonnant de trouver dans son film des tableaux propres à la scène et des échos de l’univers des grands textes d’opéra ou de théâtre. Dante l’a guidé pour écrire à partir d’un matériau roumain, donnant la ville de Palilula, entre le Paradis et l’Enfer, et ses habitants dansant au son d’un orchestre tzigane, pleurant au son d’une œuvre de Verdi, mais buvant, toujours, en l’honneur de Palilula, d’où ils ne peuvent jamais sortir. Un beau morceau de musique, signé Vasile Sirli, revient de manière récurrente dans le film, comme pour souligner cet enfermement tragique. Campée aux alentours des années 70-80, cette histoire a lieu sous le règne du dictateur communiste Ceausescu, durant lequel seuls le rire, l’ivresse et la fête permettaient de tenir. “Il était une fois Palilula” est une plongée dans la fantasmagorie à avoir vu au moins une fois dans sa vie, tant il est rare de voir une telle mise en scène.
Bienvenue à Palilula, un monde aux lois nouvelles
“Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous”, conseillait Charles Baudelaire dans son Spleen de Paris (1869). Peut-être que ce monde-là est à Palilula, la vertu en moins, remplacée par l’immoralité, et qu’il n’existe pas. Le docteur Serafim, pédiatre fraîchement diplômé, arrive à Palilula, une ville où ne naît aucun enfant, tant les adultes en sont d’éternels. Perdue dans la plaine de Vallachie, on y trouve un sanatorium, l’ancien hôtel Grandiflora, un hôpital improbable et surtout des banquets. Un précédent médecin, Papa Pantelica, vient de mourir empoisonné. Il rôde comme un spectre, sa parole est devenue sacrée. Serafim raconte, en voix-off, ce qu’il voit ou croit voir, de toute cette vie orchestrée par des personnages hors du commun, pourtant inspirés de personnes ayant existé. Les malades ne le sont pas, on dit que seuls les médecins sont malades. Composé de multiples scènes de vie, le film à la photographie irréelle (tout a été tourné de nuit, en plein hiver, avec des lumières artificielles) nous présente un univers où la raison ne fait pas loi. Le médecin laissera vite de côté la rationalité de la science, s’adonnant bientôt, lui aussi, à l’ivresse. Jusqu’à la folie?
De belles trouvailles ponctuent ce monde baroque à l’ivresse permanente. Ici une femme hermaphrodite, là une sorte de sorcière appelée “La chèvre”, là encore un médecin noir qui deviendra blanc, et bien sûr un représentant du Parti, en plus de vieilles courtisanes et d’aristocrates désargentés. Si l’outrance et la longueur de certaines scènes nous perd, on déguste l’ampleur de l’imagination du metteur en scène à l’humour décalé, comme sa manière de rabattre le caquet du Parti et d’évoquer l’ombre du couple Ceausescu. Le docteur Serafim traverse les saisons dans cette ville fantasque, au contact des légendes du lieu. Ou peut-être est-ce lui qui avait besoin de la raconter ainsi, pour être plus fidèle à ses impressions, même si tout n’est pas vrai. Digne d’un conte des frères Grimm, sa fin sera d’être avalé par une grenouille. Si ce film ne correspond pas aux codes classiques du cinéma, c’est qu’il ne le devait pas. Cette histoire devait créer sa forme propre, entre le théâtre, le cinéma et l’opéra, cherchant un moyen de les faire tenir ensemble. Silviu Purcarete, s’il admire Fellini et Kusturica, a composé sa propre recette. Palilula est un voyage auquel il faut savoir se préparer.
Il était une fois Palilula, de Silviu Purcarete, avec Aron Dimény, George Mihaita et Razvan Vasilescu, 2h20, en salles le 14 septembre 2022.