Ne cherchez pas au calendrier liturgique ces "martyrs", que l’on célèbrera ce 10 septembre à La Chapelle-Basse-Mer en Loire-Atlantique : ils n’y figurent pas ; en tout cas pas encore. Ils font en effet partie de l’interminable cohorte de victimes quasiment anonymes de la Révolution française dans l’Ouest de la France. 100.000, 200.000, 300.000 morts ? Les historiens s’envoient les chiffres à la figure en même temps que les invectives et arriver à un décompte serein, après 230 ans, demeure impossible.
Il faut cependant garder deux faits à l’esprit : la nécessité de rapporter ce nombre à celui de la population française à la fin du XVIIIe siècle, environ 25 millions d’habitants, et l’écrasante majorité de femmes, d’enfants et de vieillards, autrement dit de non-combattants, victimes des massacres commis dans les provinces insurgées de la Vendée militaire. Beaucoup de ces malheureux ont péri dans des conditions si atroces, si ignominieuses, que les survivants, souvent, ont préféré, par respect pour les défunts, et ce qui pouvait rester de leurs proches, ne jamais raconter dans le détail ce qui s’était vraiment passé… S’y est ajoutée une profonde, une authentique volonté de pardon de la part des victimes, et un réflexe de patriotisme poussant à ne pas porter atteinte à la réputation de la France en révélant au monde de telles horreurs. Tout cela a fait que le souvenir s’est brouillé, altéré, perdu, au point, parfois, de laisser confondre victimes et bourreaux.
En haine de la foi
L’Église a fait preuve d’une prudence identique et ouvert peu de causes de béatifications des martyrs de la Révolution en comparaison de leur foule. C’est spécialement vrai dans l’Ouest insurgé car il a paru souvent difficile de départager avec certitude qui, parmi ces gens, a bel et bien été mis à mort « en haine de la foi », ce qui est le fondement de la définition du martyre, et qui a péri pour des motifs politiques. La béatification d’une petite partie des fusillés d’Avrillé, dans le Maine-et-Loire, lors du bicentenaire de la Révolution a constitué une exception notable ; encore a-t-on veillé à ne bien retenir que des condamnés pour raisons religieuses.
Alors que le "devoir de mémoire" est à la mode, l’historien Reynald Secher a décidé de relever les ruines du sanctuaire incendié, d’en refaire un lieu de prière en même temps qu’un mémorial.
Le même recul laisse en sommeil depuis des décennies la cause des "Saints Innocents de la Vendée", ces 110 enfants de moins de sept ans, certains au berceau, massacrés aux Lucs-sur-Boulogne en février 1794 dans l’une des pires, voire la pire tuerie commise par les tristement fameuses "Colonnes infernales". Ces tout-petits ne sont pourtant guère soupçonnables d’avoir partagé les éventuels engagements politiques de leurs familles… Tout cela explique pourquoi ces "martyrs" de La Chapelle-Basse-Mer n’ont pas été portés sur les autels.
Un sanctuaire et un mémorial
L’historien Reynald Secher, lui-même originaire de cette région du vignoble nantais et de ce bourg de La Chapelle-Basse-Mer, les a découverts un peu par hasard, dans les années 1980, en préparant sa thèse universitaire. Dans un désir d’oubli, ou saturée par les malheurs du XXe siècle, les deux guerres mondiales ayant beaucoup contribué à remplacer les drames du passé par d’autres plus récents, la mémoire collective est alors en train d’effacer les derniers souvenirs de l’époque révolutionnaire, et jusqu’aux tueries qui, en 1793-1794, ont endeuillé à plusieurs reprises ce village si paisible. Elles ont pourtant causé la mort de 850 habitants, ce qui est considérable, et frappé toutes les familles ou presque. La répression républicaine culmine avec l’incendie de l’église Saint-Pierre dans laquelle les soldats ont, au préalable, enfermé la population qui n’a pas eu le temps de se mettre à l’abri.
La découverte de cette tragédie oubliée a profondément marqué Reynald Secher, bouleversé sa vie aussi. Lui avoir consacré une partie de ses recherches et l’avoir ainsi révélée au public cultivé ne lui a pas suffi. Alors que le "devoir de mémoire" est à la mode, l’historien a décidé de relever les ruines du sanctuaire incendié, d’en refaire un lieu de prière, de recueillement en même temps qu’un mémorial, non seulement de ces victimes-là, mais de toutes celles, à travers le monde et dans la suite des temps, emportées par la folie meurtrière d’États totalitaires pour lesquels le martyre de la Vendée a souvent représenté un modèle, une sinistre source d’inspiration, de sorte que l’on peut le lire comme "la matrice" de toutes ces abominations.
L’entreprise, marquée par d’innombrables difficultés, diverses tentatives de l’interrompre, par des moyens légaux ou pas, des déprédations, des actes de malveillance, des vols à répétition, aura pris plus de trente ans avant d’être menée à terme. La chapelle Saint-Pierre-ès-liens a vu, au cours des trois décennies passées, se succéder sur son chantier, un modèle du genre en matière de restauration du patrimoine, des centaines de bénévoles, venus de toute l’Europe, unis, sur plusieurs générations, par la volonté de reconstruire une église à l’heure où tant d’autres ferment. Les travaux enfin achevés, la première messe a pu y être solennellement célébrée en mai dernier.
Un pardon en l’honneur des martyrs
Ce 10 septembre, c’est à un autre événement que les fidèles, ou les simples curieux, de Bretagne, de Vendée et d’ailleurs sont conviés : un pardon en l’honneur des martyrs du vignoble nantais. Les mesures anti-covid ayant perturbé les projets de l’association Bevan Breizh, organisatrice de la journée, en 2020 et 2021, ce 10 septembre marque donc un vrai commencement, avec l’intention affichée de voir la fête se renouveler chaque année. Le programme annoncé est celui d’un authentique pardon breton (car l’on est bien en Bretagne ici, même si le département est rattaché aux Pays de la Loire…), c’est-à-dire que le sacré et le profane s’y mêlent harmonieusement, et respectueusement pour le bonheur de tous. À 14h, messe dans l’église suivie d’une procession qui n’oubliera ni la croix ni les bannières, ni les cantiques ni les prières. À son issue, ouverture d’un marché d’artisanat et de produits locaux, puis jeux traditionnels et danses bretonnes, avec ambiance fest-noz. Rendez-vous place de l’église de La-Chapelle-Basse-Mer, devenue à la suite d’un regroupement de communes, Divatte-sur-Loire, ce 10 septembre.
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