Alors que la France a opté pour une approche sécuritaire et humanitaire, justifiant ses interventions en Afrique par la lutte contre les facteurs de troubles et pour le développement des pays, la Chine s’est placée dans une logique économique de commerce et d’échanges. Nulle envie d’envoyer un corps d’armée pour lutter contre le terrorisme ou bien de conduire une mission militaire pour assurer la protection d’une zone : seule l’approche économique est assurée. La Chine a besoin des vastes espaces territoriaux africains pour s’approvisionner en céréales comme elle lorgne aussi sur les matières premières nécessaires au fonctionnement de son industrie. Si cela fait déjà une quinzaine d’années que la présence chinoise en Afrique est visible, cette coopération s’est accrue au cours des dernières années, portée par un véritable soutien politique de la part de Pékin.
Xi Jinping visite régulièrement les pays africains, des sommets sino-africains sont organisés en Chine, des instituts Confucius ouvrent dans les pays clefs. Si la coopération est essentiellement économique, le discours est également politique. La Chine se présente comme une ancienne nation colonisée par les Européens, donc à même de comprendre les Africains puisque les deux partagent une histoire commune. Point de demande d’établir une démocratie ou d’organiser des élections comme condition à l’aide apportée, ce qui convient à des régimes qui ne partagent pas les idéaux démocratiques des Européens.
Agriculture et fret
Mais la Chine sait aussi adapter son discours aux thèmes d’aujourd'hui, notamment en parlant d’écologie et d’intégration mondiale. La région du Hunan, située en amont de Hong Kong, est l’une des portes d’entrée de l’Afrique en Chine. Les autorités locales se rendent régulièrement en Afrique pour accroître la coopération entre leurs pays et cette province. D’importants projets d’infrastructures sont prévus afin de renforcer la connexion entre cette province et l’Afrique : construction d’une zone de libre-échange, de transformation des produits agricoles africains et de commerce, extension des lignes aériennes vers les capitales africaines, développement des relations maritimes entre les ports de la région et ceux d’Afrique. L’objectif est de faire de cette région le passage privilégié vers la Chine, comme le fut Marseille en son temps pour la France.
La Chine opte elle pour une présence en Afrique non pas politique ou militaire, mais économique.
Une ligne de fret a ainsi été ouverte entre l’aéroport de Changsha, capitale du Hunan, et Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie. L’Éthiopie est devenue, depuis une dizaine d’années, l’un des centres majeurs du textile mondial, grâce à l’implantation d’entreprises turques et chinoises. L’Éthiopie possède de nombreux avantages pour l’industrie du textile : c’est un pays producteur de coton, qui est cultivé, filé et transformé sur place, la main-d’œuvre y est abondante et peu chère, le pays est bien relié à l’Europe et à l’Asie. Il est en train de détrôner le Bangladesh comme producteur de vêtements bon marché. La ligne de fret assurera le transport d’une partie de cette production, surtout valable pour les collections de mode saisonnière qui ont besoin d’être transportées plus rapidement qu’en bateaux.
Une stratégie économique
En 2021 a été inaugurée la China-Africa Rail-Sea Express Company, qui relie Zhuzhou, le centre industriel du Hunan et l’Afrique. Il s’agit d’un canal utilisé pour le transport de céréales, de semences et d’outils industriels, comme des pièces automobiles, et des produits chimiques. La première phase de cette voie maritime relie 11 ports africains et 20 routes et voies ferrées qui conduisent à l'intérieur du continent. Les provinces côtières du Guangdong, du Jiangsu, du Zhejiang et du Shandong sont positionnées comme des points nodaux qui font office d’interface avec les autoroutes commerciales maritimes chinoises. Les trois premières régions représentent presque la moitié du volume du commerce mondial de la Chine. Les entreprises chinoises ne se limitent pas aux importations, elles exportent aussi vers l’Afrique, notamment des pièces automobiles, des produits mécaniques et électriques.
Au moment où la France se retire d’Afrique, après avoir quitté le Mali, où les Russes tentent une nouvelle implantation après leur tentative ratée des années 1970, la Chine opte elle pour une présence non pas politique ou militaire, mais économique. Avec la promesse d’emplois, de développement, d’ouverture au monde. Si des tensions peuvent apparaître ici et là, le sentiment antichinois n’est pas aussi exacerbé que le sentiment antifrançais dont l’image de puissance coloniale continue de peser. Reste à passer des projets aux réalités. L’Afrique représente moins de 2% du commerce mondial.
La corruption des gouvernements, l’instabilité politique, les guerres internes et externes incessantes ne sont pas les meilleurs atouts pour assurer un développement serein. La Chine finance les infrastructures et les projets de développement. Comme elle le fait en Eurasie avec les nouvelles routes de la soie, comme elle le fait en Asie avec ses partenariats bilatéraux, comme elle le fait aussi en Europe, notamment en Europe centrale. Elle n’aura pas les moyens financiers et humains d’investir partout. Derrière les beaux projets, les maquettes et les inaugurations, il y a les réalités : un certain nombre d’infrastructures risquent de demeurer sous-utilisées et la Chine Afrique d’osciller entre projets, rêves et regrets.