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L’affaire Pogba et le retour de la sorcellerie

Paul Pogba (à gauche) et Kylian Mbappé (à droite).

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Louis Daufresne - publié le 06/09/22
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L’affaire de chantage impliquant le footballeur Paul Pogba révèle la place que la sorcellerie a pris dans la société française. Le rédacteur en chef de Radio Notre-Dame s’interroge : dans un monde si athée, que signifie cet appel à l’au-delà ? Moins il y a Dieu, plus il y a d’idolâtries.

Qu’on soit footeux ou non, on ne peut rester insensible à ce qui arrive à Paul Pogba, une histoire de cornecul mêlant maraboutage, extorsion de fonds et rancœur familiale. On apprend que le champion aurait demandé à un sorcier de jeter "des sorts" à Kylian Mbappé. Le rocambolesque le dispute au risible, lit-on un peu partout. On aurait tort de s’arrêter à ces seules impressions. Deux regards alimentent ce fait divers. Le premier, mercantile, y voit le risque économique. L’argent gagné en très peu de temps par les champions en fait des cibles de premier choix pour les harceleurs et autres maîtres chanteurs. Rien de bien nouveau. 

Cette affaire pose ici la question de la sécurité des stars, physique et morale. Car tout juste opéré du genou, le milieu de terrain de la Juventus est aussi fragilisé par cette médiatisation inopportune. Son trouble rejaillit sur l’équipe de France à l’aube de la Coupe du monde fin novembre au Qatar. Kylian Mbappé, indirectement impliqué, doit rassurer les Bleus en disant qu’il "préfère faire confiance à la parole d'un coéquipier" qui l'a "appelé" et lui "a donné sa version des faits".

Le retour de la sorcellerie

L’autre regard, spirituel, nous concerne ici davantage. "Derrière l'affaire Pogba, écrit Marianne, [il y a] la recrudescence de la croyance dans la sorcellerie" (29/08/2022). Citant un sondage, l’hebdomadaire ajoute que "l'affaire prêterait à sourire si 40% des jeunes de moins de 35 ans ne croyaient pas sérieusement en la sorcellerie". Le chiffre tombe à 26% chez les plus de 40 ans. Doit-on l’attribuer à la sagesse venant avec le nombre des années ? Est-on irrationnel quand on est jeune ? L’argument me paraît bidon. Faut-il y voir un signe du "grand remplacement", les moins de 35 ans d'origine africaine étant de plus en plus issus du monde africain, si sensible aux amulettes et aux sortilèges ? C’est en partie vrai. 

Le nom de Dieu, qu’il soit bon ou méchant, est entendu par nos autorités morales comme un gros mot.

Qui connaît l’Afrique noire sait que la sorcellerie y est une sorte de service public. Plus nombreux seront les Africains en France, plus cette pratique sera répandue, du moins dans les études quantitatives. Car rien dans le système intellectuel français, de Voltaire à Sartre, ne contribue à valoriser la superstition. Le nom de Dieu, qu’il soit bon ou méchant, est entendu par nos autorités morales comme un gros mot. Il y a un athéisme officiel qui ne dit pas (toujours) son nom — qui confond tous les recours à l’invisible dans le même opprobre, et ramène la croyance dans le surnaturel à une infirmité de l’esprit, doublée d’un manque de curiosité et de savoir. Au mieux, on considère un homme de foi comme un doux-dingue, au pis comme un taliban.

L’Église contre la superstition

Si le terreau national n’est donc pas favorable, on ne peut pas résumer le phénomène de la sorcellerie au succès d’un produit d’importation venu d’Afrique. D’abord, parce que les sorcières du Berry ou d’ailleurs étaient là bien avant l’immigration de masse. Dans quel village n’y avait-il pas de rebouteux ? Ceux-ci peuplaient les déserts médicaux de l’époque. La sorcellerie ou le chamanisme font office de religion primaire sur tous les continents, du fin fond de la Sibérie à l’Amérique latine. C’est une sorte de braise toujours vivace que n’éteint pas la flamboyance des religions institutionnelles obéissant à une révélation. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. L’Église catholique livra un combat de tous les diables à la superstition. On peut se demander pourquoi, alors que les chrétiens ne cessent de prier Dieu de les exaucer dans leur vie. Les chrétiens voudraient-ils jouir seuls de leur monopole des réalités invisibles, afin que nulle croyance ne vienne les concurrencer sur le marché de l’au-delà ? Cette vision est mesquine sauf à voir la concurrence sous un autre angle, celui de la théorie des vases communicants. 

Dieu ou les démons

Pour le père Guy-Emmanuel Cariot, recteur de la basilique d’Argenteuil et exorciste diocésain, "moins il y a Dieu, plus il y a un rapport idolâtrique avec dieu". Dieu devient le père Noël ou Jupiter. C’est une sorte de bouton sur lequel on appuie, "une manière d’instrumentaliser le monde spirituel afin qu’il obéisse à l’homme", peu importe qu’il s’agisse de nuire ou de guérir. L’exorciste me confie se souvenir d’un coupeur de feu aux prises avec un zona et qui, au détour d’une formule magique, parle de saint Juda… "Le rituel, souligne le père Cariot, n’a pas d’efficacité en soi. Celle-ci provient de la personne à laquelle il s’adresse. Or la réalité spirituelle est binaire : c’est Dieu ou les démons", tranche-t-il. Et avec la sorcellerie, ce ne sera jamais le premier, selon ce que disent les Écritures, "tu ne mettras pas à l’épreuve ton seigneur ton Dieu".

Les forces du bien ne se manifestent pas sur commande. La sorcellerie tombe ainsi mécaniquement sur des démons.

Les forces du bien ne se manifestent pas sur commande. La sorcellerie tombe ainsi mécaniquement sur des démons. On peut le comprendre puisque la démarche, outre ce que l’on vient de dire, tient de la paresse et de l’injustice. Le subterfuge vise en effet à contourner les lois du monde pour obtenir hors de l’action humaine quelque chose que nos efforts ne peuvent atteindre. Sans même vouloir jeter des sorts, commander aux puissances invisibles dispense de travailler sur soi-même, de changer sa vie, d’aimer les autres, d’obtenir une récompense méritée. Comme si l’être humain, ployant sous le faix de la vie, avait besoin de lier son destin à un monde par lequel il se sait dépassé. 

Ce dernier point est la bonne nouvelle de ce phénomène : l’au-delà n’est pas vide et sa présence interpelle les vivants en sursis que nous sommes tous. Après, libre à chacun de se laisser interpeller par les forces qu’il choisit : le côté obscur ou les lumières qui, pour une fois, coexistent avec celles de la raison.

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