"Vendredi prochain je passe à la retraite et je crains beaucoup de plonger dans l’inactivité. J’ai un ami qui a fait une dépression à ce moment là", reconnaît Stanislas, 62 ans, cadre depuis près de quarante ans dans un grand groupe de cosmétiques. "Après un temps d’euphorie, il s’est retrouvé enfermé chez lui sans aucun projet en tête. Et il a dégringolé en quelques mois… Son histoire me fait peur".
Il est fréquent que l'enthousiasme des premiers mois laisse la place à un vide vertigineux, notamment dans le couple, quand l'un s'arrête avant l'autre. La dépression touche le plus souvent les hommes qui sont généralement moins habitués que les femmes à vivre au quotidien plusieurs activités parallèles diverses. C'est le cas de Stanislas, pour qui se confier sur ses angoisses est particulièrement difficile. "D'abord j'ai toujours été dans le rôle de celui qui est fort et sur qui toute la famille pouvait s’appuyer. Ensuite, il est clair que dans une société touchée par le chômage et en plein débat sur l’avenir des retraites, et parce que ma retraite n’est pas menacée matériellement, je suis considéré comme un privilégié qui n'a aucune légitimité à se plaindre", poursuit Stanislas.
"Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?"
Dans son ouvrage La retraite, une nouvelle vie (Odile Jacob), la psychosociologue clinicienne et psychanalyste Anasthasia Blanché explique que les premiers temps de la retraite sont ceux du "passage angoissant d'un temps bien structuré à un temps déstructuré." Cette entrée dans la retraite peut être vécue comme une petite mort. Mais en réalité, il s’agit d’une période comparable à l’adolescence. C’est un temps où les repères se perdent, où les questions existentielles reviennent en force, où il est important de "réinventer sa vie en fonction de profonds bouleversements. Ceux-ci se jouent sur plusieurs plans. Ils sont psychologiques : qui suis-je dès lors que je ne suis plus médecin, comptable ou avocat…?. Ils sont aussi biologiques : le corps n’est plus en forme olympique comme avant. Ils sont encore sociaux : quelle réponse à cette question incontournable "Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?"
Ce temps est privilégié pour ceux qui veulent trouver un vrai sens à leur nouvelle vie. Un sens qui va durer un quart de siècle en moyenne, une fois le dossier de pension validé…
La bonne nouvelle, c’est que ce temps est privilégié pour ceux qui veulent trouver un vrai sens à leur nouvelle vie. Un sens qui va durer un quart de siècle en moyenne, une fois le dossier de pension validé… Un moment merveilleux où l’on peut "rouvrir la malle aux trésors et retrouver son âme d’enfant, faire preuve d’imagination, rêver, créer, jouer" estime Anasthasia Blanché. Mais aussi retrouver son âme et son intériorité, étouffée souvent par un rythme de vie éprouvant. Lui redonner une place que la vie de famille et les contraintes professionnelles ont pu éclipser, c’est la recette pour reconstruire et réussir un nouvel avenir.
Choisir, continuer, cesser, commencer
Alors, comment faire face à ce passage délicat et éviter de tomber dans la déprime ? Comment nommer ses priorités et faire de bons choix ? Comment construire ce nouvel équilibre qui permettra de trouver une raison de se lever chaque matin ? Par quoi commencer ? Dans son ouvrage, Anasthasia Blanché propose de faire un simple exercice, qu’elle appelle la règle des quatre C : choisir, continuer, cesser, commencer. En listant les activités, de la plus ordinaire à la plus rêvée, cet exercice permet de faire le tri. Voici les débuts de phrase à compléter. "Faire" peut bien-sûr être remplacé par "être" :
- Choisir de faire…
- Continuer à faire cela parce que c’est bénéfique pour moi et pour mes proches...
- Cesser de faire cela parce que ce n’est pas bon ni pour moi ni pour mon entourage...
- Commencer à faire cela parce que c’est un moyen d’apporter du sens à ma nouvelle vie...
Cette astuce a permis à Catherine, 62 ans, d’entamer une réflexion sur ce qui était superflu et ce qui était essentiel dans son existence, un début pour construire sa vie de retraitée. Aujourd’hui, elle est pleine de projets. Il y a trois ans, son employeur avait poussé vers la pré retraite cette chef de collection d’une maison d’édition. "Si, au moment même du passage, j’ai beaucoup déprimé, cette épreuve s’est finalement révélée très bénéfique pour moi", reconnaît-elle sans hésiter. Catherine a pu enfin réaliser son rêve : approfondir ses connaissances de japonais en vue de préparer enfin une thèse. "Prendre sa retraite de salarié, ne signifie pas celle de travailleur", explique-t-elle enthousiaste.
Une vie à plusieurs dimensions
À 67 ans, Paul conseille quant à lui les jeunes chômeurs de son quartier depuis qu’il est retraité, dans le cadre des activités de sa paroisse. Il est également à l’écoute des sans-abri grâce à une association. "Je suis heureux de pouvoir me rendre utile, apporter un soutien concret. Ce n’est pas la même chose de faire un don que de retrousser les manches et passer du temps à trouver des solutions pour chacun", témoigne-t-il. L’été, il aime partager sa passion avec ses petits-enfants : la randonnée dans les montagnes. "J’aime organiser les grandes rando et vivre au contact de la nature, loin des signes de civilisation. Cela me ressource, humainement, mais aussi spirituellement. J'ai enfin le temps de pouvoir me donner à fond et transmettre aux jeunes générations cette manière de souffler, de prendre du recul, de se mettre en présence de Dieu. Ma nouvelle vie me le permet, j’en suis ravi !", conclut Paul.
Avec l’allongement de la durée de la vie, le départ à la retraite n’est pas un épouvantail. C’est un seuil vers une nouvelle vie, libérée souvent de bien des contraintes, que les seniors peuvent aborder sereinement, riches des expériences et des enseignements de leur vie. C’est une question de point de vue, de prise de conscience et d’une bonne préparation, souvent psychologique et spirituelle, pour aborder cette étape de vie si importante.