C’est peu dire que la confiance et l’autorité sont deux notions qui n’ont pas la cote à notre époque. L’autorité ne s’est jamais relevée du caniveau dans lequel tout ce qui a précédé et suivi les événements de 1968 l’a précipitée. Quant à la confiance, cet autre nom de la foi, elle a été expulsée de notre société, jetée à la poubelle, confinée dans cette case que le tri sélectif de la nouvelle morale appelle : la case faiblesse. Malheur aux faibles et malheur aussi aux forts ! Telle est la nouvelle doxa qui, sous des apparences de morale bienveillante, installe jour après jour sa dictature.
Car il s’agit bien d’une dictature : dictature de la médiocrité intellectuelle et morale. S’il existe une défiance inédite dans les rapports sociaux, c’est en raison d’une crise de l’autorité. En même temps qu’on prétendait en haut lieu "déconstruire" notre histoire, nos structures et nos repères, on déconstruisait la confiance, sans laquelle aucune autorité ne peut produire quelque chose de bon. Nous en sommes arrivés à un point où les désaccords politiques s’expriment davantage par des insultes que par des arguments.
L’espérance de changer le monde n’est certes pas encore morte, mais les affamés de justice se nourrissent désormais de plateaux repas.
L’espérance de changer le monde n’est certes pas encore morte, mais les affamés de justice se nourrissent désormais de plateaux repas. Menu unique. Les courants de pensée sont organisés en silo, ils ne se parlent plus. L’affaire de Caroline Cayeux, ministre infortunée qui a eu le tort de croiser naguère la Manif pour tous (comme deux millions d’être nous) est de ce point de vue exemplaire : on n’a pas demandé à la fautive de se justifier ou de s’expliquer, mais seulement de se renier et de taire. Il y a dix ans, le président Hollande avait pris la peine de recevoir Frigide Bardot, sans d’ailleurs l’entendre. Aujourd’hui une telle audience serait impossible, considérée comme une inacceptable complicité.
Cet effacement de la confiance et de l’autorité ne vient pas seulement de l’esprit de censure venu d’Amérique, ni seulement de la morale simplificatrice véhiculée par les réseaux sociaux. Elle est nourrie par une sourde révolution qui est la prise de pouvoir par ceux que Pierre Bourdieu appelait les "demi-savants" et avant lui Blaise Pascal les "demi-habiles". Ces demi-savants, ces demi-habiles sont des intellectuels standardisés, des intelligences moyennes et paresseuses, des urbains fatigués, des diplômés frustrés, des mondialistes casaniers, des obscurantistes de la raison. Ils ont pris le pouvoir. Pendant que la classe moyenne économique française s’effondrait, prise en tenaille entre les nouveaux déclassés et les nouveaux nantis, une classe moyenne morale, écrasant à la fois les ignorants et les savants, s’imposait.
Rendre l’autorité respectable
Le demi-habile n’est ni sot ni ignorant, il est bac + quelque chose, mais il a renoncé à la confiance et à la pensée. Il méprise à la fois le peuple et les élites, disait de lui Blaise Pascal. Il ne va pas au bout de ses raisonnements, précisait de lui Pierre Bourdieu. Il n’a d’expertise sur rien, mais un avis sur tout. Il ne fait confiance à aucune autorité, hors l’anonyme loi du nombre exprimée dans les réseaux sociaux. Et comme il ne va pas au bout de ses raisonnements, sa raison cède en route à la loi du moindre effort : le jugement moral. Juger demande moins d’effort que réfléchir. Voilà comment un nouvel ordre moral est né. Le menu unique de la cantine dont ces affamés de justice en boîte se contentent propose des plats très simples : lois libertaires (entrée), wokisme (plat), écologie punitive (dessert). On pense toujours contre soi-même. Le demi-habile ne se fait pas une telle violence : il ne pense pas. C’est ainsi que la morale et l’autorité ne sont pas mortes sous les coups de la révolte, mais sous les coups de la paresse.
Rebâtir la confiance dans l’autorité dans un tel contexte est évidemment un défi. Reconstruire la confiance sera un travail de longue haleine, qui commencera par le respect. Rendre l’autorité respectable est le premier impératif. Cela suppose que nos gouvernants cessent d’abord de nous faire honte, qu’ils se guérissent du démon de la démagogie. Qu’ils nous respectent pour que nous les respections. Ensuite, cela suppose que la politique nous fasse à nouveau rêver. Qui pourrait incarner un rêve démocratique ? Bien savant qui pourrait le dire.
Un homme de ma génération est comme le capitaine Dreyfus humilié : on lui a arrachés un à un tous ses galons, on a brisé son épée, on a assassiné son honneur ; la France, la Sainte Église, notre patrimoine culturel et spirituel, nos humbles fiertés, tout ce dont on nous avait dit quand nous étions enfants que c’étaient les choses les plus importantes de nos vies, les plus belles, les plus grandes, les demi-habiles nous expliquent que cela nous ne vaut rien, que cela n’a jamais rien valu. Les demi-habiles ont violé la dignité de nos mémoires. Nous entrons dans la vie dépouillés de tout ce qui comptait pour nous : il ne nous reste que l’espérance. Reconstruire la confiance dans l’autorité, au milieu d’une civilisation de la défiance, est notre vocation de chrétiens et de Français.