Commencer par un monastère orthodoxe et finir par un fait divers est pour le moins original. Une novice de 19 ans, sobre et plutôt muette, quitte en cachette son monastère pour une affaire importante en ville. La première scène évoque déjà la culpabilité, dans le vis-à-vis du miroir, après quoi elle se met à genoux avant de partir. Elle prend avec elle un téléphone portable, grâce auquel elle tente régulièrement de contacter un homme. Un taxi l’attend, puis elle se change en civil sur le trajet. Sur le chemin du retour, tout bascule. Un drame est arrivé. Marius, inspecteur de police en charge de l’enquête, prend tous les moyens pour résoudre l’énigme. Pendant près de deux heures, le suspens à plusieurs niveaux, mais pour autant très bien tenu, arrive à nous captiver.
Dans ce pays en proie aux difficultés économiques et sociales, chacun survit à sa façon, chauffeurs de taxi, médecins et flics. Le monastère, à l’image de la foi, semble être un luxe loin des réalités, à l’écart du monde. Un refuge, aussi. Tandis que la jeune fille se rend à l’hôpital, elle repart plus vite que prévu avec un autre chauffeur. Elle doit à nouveau se changer, à l’abri des regards. Une scène d’une grande violence, celle d’un viol par un homme surgi des broussailles, est ici filmée de manière pudique et terrible. Pendant que la scène se joue, la caméra s’éloigne dans un tour à 360 degrés, ne nous laissant que le son, et donc l’angoisse de ne pas savoir le sort exact de la fille.
Marius, l’inspecteur de police en charge de l’enquête que l’on voit subrepticement avec femme et enfants, s’implique à fond dans l’affaire, qu’il prend très à cœur. On devine, dans une visite à l’hôpital auprès de la victime, qu’un amour est né avec la jeune fille, avant son entrée au monastère. Au-delà de son infidélité, son amour est pris en étau. Et sans doute bien plus que l’amour, c'est -à -dire tout ce que suppose aimer. Car, en voiture avec son collègue, il ne supporte pas ses propos sur la foi et le fait même descendre. Pourtant, la détestation du Mal, jusqu’à le combattre, pourrait être proche de la définition de la foi. La colère du commissaire est à l’opposé du silence de la fille, calme et pourtant réellement meurtrie, dans le cœur et dans la chair. Alors qu’il ne lâche pas la piste du criminel pressenti, celle-ci subit une mort lente, à l’intérieur, portant le fruit de leur amour en son sein.
La place donnée au mystère
La fin est suspendue entre deux possibles. Et c’est toute la beauté du cinéma roumain, au charme discret, de donner toute sa place au mystère. Comme fidèle au cœur de l’homme, et à celui du mal aussi. Si le film est dur, il promet aussi un vrai regard, une ouverture, sur toutes les variantes de l’origine du Mal. Puisqu’ici, tout a commencé à cause de l’amour, mais aussi de la peur, de la fraîche novice, comme celle de Marius, qui l’a laissée tomber. Raisons pour lesquelles une jeune fille, d’ailleurs très attachante, s’est réfugiée au monastère.
Si le film Dédales est autant réussi, et sur plusieurs plans, les multi-casquettes du réalisateur n’y sont sans doute pas étrangères. En plus d’être cinéaste et scénariste, Bogdan George Apetri est aussi directeur de la photographie. D’une grande maîtrise cinématographique, l'œuvre, d’apparence simple, développe une histoire tout en complexité. La finesse de la mise en scène rappelle ainsi celle du film Malmkrog (2020), par le roumain Cristi Puiu. Le cinéma roumain, illustré par ces deux films, a en effet cet art de la suggestion qui permet deux niveaux d’intrigue dans l’histoire, et par l’unique maîtrise du récit. La seconde intrigue, plus en sourdine, étant le propos le plus intéressant du film. Dédales répond à cette dialectique du propos cinématographique qui refuse l’outrance ou la facilité. Le titre originel, Miracle, ne fait d’ailleurs que renforcer son mystère, surtout à la sortie du film.
Pratique :