Il y a au moins six conditions à respecter pour réformer paisiblement notre système de retraite. La première est de faire preuve d’humilité et de s’inspirer des décisions qu’ont prises nos voisins : tous ont augmenté l’âge de départ à un minimum de 65 ans, sans évoquer le cas japonais ou l’on vise les 70 ans. La seconde condition est d’expliquer que nous sommes arrivés à des niveaux d’endettement dangereux pour l’autonomie du pays. Il faut donc baisser les dépenses publiques et sociales pour retrouver un excédent budgétaire. La plus grosse des dépenses étant, de très loin, la retraite (14,8% du PIB), il faut ramener le chiffre de 10 à 11% faute de quoi, c’est l’indépendance financière de notre pays, sa compétitivité globale et son système social qui seront, un jour, mis en cause. L’Allemagne a réussi cette prise de conscience au début des années 2000. Le chancelier de l’époque, Gerhard Schröder, a alors réformé les retraites en sortant du paritarisme. Il a expliqué que l’État n’avait pas les moyens de combler les trous. Les partenaires sociaux ont assumé, ont fait les calculs et compris qu’il fallait porter l’âge de la retraite à 65 ans.
Raisonner en termes de durée
La troisième condition est de casser l’idée qu’il faut chercher l’argent « là où il est est », autrement dit chez les cent plus grandes fortunes du pays. C’est une idée complètement fausse : non seulement le niveau de cette fortune (750 milliards d’euros avant la crise récente) est beaucoup trop faible vis-à-vis du problème, mais ces fortunes sont investies dans des entreprises, donc cet argent n’est pas liquide. Le sortir pour financer des dépenses reviendrait à donner le contrôle de ces entreprises leaders à l’étranger en une demi-douzaine d’années, et ne ferait que repousser le problème.
La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales.
Une autre condition est de raisonner en termes de durée de travail, comme l’ont fait les pays qui ont réussi les réformes : un jeune ayant commencé à travailler à 17 ans aura 62 ans après 45 années de travail alors qu’un diplômé qui a eu un travail moins dur (au moins physiquement) et qui a commencé à travailler à 25 ans (du fait d’études supérieures longues) n’aura accumulé à 62 ans que 37 années de travail. Raisonner en termes d’âge uniforme crée des complications et par voie de conséquence des tensions.
L’espérance de vie
La cinquième condition est de respecter l’arithmétique : quand la décision a été prise de la retraite à 60 ans en 1983, l’espérance de vie moyenne était de 75 ans, la durée moyenne de la retraite était donc de 15 ans. Depuis, la durée de vie a augmenté d’un trimestre par année, soit une espérance de vie de 85 ans. Le temps de retraite est aujourd’hui 50% plus long avec une date de départ à 62 ans. Les conséquences sont considérables : 3 cotisants par retraité en 1983, 1,7 maintenant. Il y a certes eu des gains de productivité pendant cette période, mais ils sont très loin de faire la maille : le système de répartition est déséquilibré. C’est une très grave responsabilité de ceux qui ont instauré la retraite à 60 ans de n’avoir pas expliqué au départ qu’on serait obligé de changer les paramètres si on voulait garantir sa durée.
L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants.
La sixième condition suppose un minimum de connaissance en termes de finances : la capitalisation des entreprises croit plus vite que le PIB. C’est un phénomène universel et intemporel. L’un des plus vieux marchés boursiers du monde, le Dow Jones a 230 ans. Il a connu une croissance moyenne de 4,5% par an donc, dividendes compris, environ 6% de rentabilité par an. Notre indice, le CAC 40, était à 400 quand la décision fut prise de choisir la technique de la répartition, il est à 6000 aujourd’hui, soit une multiplication par 15 et une croissance de 7,5% par an. Tous les pays qui se sont appuyés sur la capitalisation ont une retraite qui coûte beaucoup moins cher : la France lui consacre 14,8% de son PIB la Suisse 7,5% ! Les économistes qui ont passé leur temps à lutter contre la capitalisation n’ont pas rendu service au pays. La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales. Il faut introduire le concept de capitalisation dans le système.
Le concept de réemploi
Les bonnes idées venant souvent de l’extérieur, il est utile de suivre l’évolution des mentalités en particulier en Asie ou la notion même de retraite est mise en cause. L’idée là-bas est de distinguer une période de retraite active et une période que l’on peut qualifier de vraie retraite. Singapour vient de lancer le concept de « réemploi ». La raison est double : une pénurie sans précédent de main d’œuvre et le fait que les trois quarts des Singapouriens sont prêts à prendre leur retraite plus tard. Ils considèrent que l’activité maintient en bonne santé, ils veulent garder leurs connexions sociales, ils sont prêts à des efforts pour servir leur pays et enfin ils aiment le travail qui est une fierté et un accomplissement. L’idée du réemploi est la suivante : quand vous partez à la retraite, vous pouvez être réembauché par votre employeur. Vous aurez un travail plus léger, orienté sur l’encadrement et la transmission d’expérience. Pour inciter les entreprises à le faire (ce qui réduit considérablement le coût de la retraite puisque pendant la période de réemploi, c’est l’entreprise qui verse le salaire), les charges sociales sont quasiment à zéro. Cette innovation ne va pas tout résoudre, mais certainement alléger le financement de la retraite. Le contrat de réemploi va aujourd’hui jusqu’à 70 ans mais il est envisagé de passer à 73 ans. Rappelons qu’en 1960, le PIB par tête des Singapouriens était le tiers du nôtre et qu’il est — excusez du peu —plus de deux fois le nôtre aujourd’hui !
L’actionnariat salarié
Voilà une belle idée à creuser. On peut en rajouter une autre : ajouter un zeste de capitalisation, la bonne façon de faire étant l’encouragement de l’actionnariat salarié. Bon nombre d’entreprises l’ont pratiqué depuis longtemps en démontrant qu’un employé qui a cotisé toute sa vie 5% de son salaire peut quasiment doubler sa retraite légale avec le capital qu’il a accumulé. Pour encourager la formule, le gouvernement pourrait baisser par exemple à 15% la fiscalité des actions dont l’origine est l’actionnariat salarié. Au vu la gravité de la situation, on peut raconter ce que l’on veut, sauf à baisser les pensions significativement, on ne pourra pas éviter un allongement de la durée de travail si on veut garder le système. L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants. Le rôle des médias sera capital dans la réforme, car la pédagogie sera… décisive.