Notre downtime, comme on désigne en anglais le temps où l’esprit est au repos, est de plus en plus court, et de moins en moins bonne qualité. C’est une banalité de constater que la communication perpétuelle permise par la technologie l’a mis en péril, et que nous en minimisons les conséquences sur notre équilibre — mot qui semble d’ailleurs tomber en désuétude.
Dans la littérature du XIXe siècle, il n’est pas rare de voir les personnages fermer leur maison pour deux mois. Au début du XXe siècle, le premier ministre britannique Arthur Balfour passait le plus de temps possible sur son court de golf en Écosse, pendant que le président américain Theodore Roosevelt n’hésitait pas à partir plusieurs mois. Les temps ont bien changé. En sacrifiant ce nécessaire repos récupérateur, ou en le survolant, qu’avons-nous perdu ?
Se mettre à l’écart
La Bible a son propre concept de vacances. Les auteurs bibliques parlent à de nombreuses reprises de se mettre "à l’écart". Plusieurs passages de l’Évangile, et en particulier chez saint Matthieu et saint Marc, nous montrent que Jésus se mettait "à l’écart" et permettait à ses disciples d’en faire autant : "Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu"(Mc 6, 31). Le repos mental est indispensable pour restaurer la capacité d’attention aux autres — la foule qui poursuit Jésus et ses disciples, les catholiques d’aujourd’hui qui communiquent avec leurs prêtres par mails, SMS et autres groupes WhatsApp. Avec la fatigue viennent l’impatience, les étourderies, le manque d’attention, les erreurs de discernement… L’été est la saison de l’attention. Cet été, comment aider nos prêtres à restaurer leur capacité d’attention, à se refaire ?
La saison peut s’ouvrir sur une relecture de l’année familiale, scolaire, universitaire, professionnelle, relecture aussi de l’année pastorale. Puis, une fois l’été organisé et les permanences réparties, il est temps de laisser nos prêtres qui sont tout à tous toute l’année se mettre à l’écart de la vie paroissiale pour un temps, se déconnecter, se délester de leur charge mentale, pour se reposer, voir leur famille, leurs amis, découvrir des lieux, faire des activités de plein air apaisantes et revigorantes, se cultiver, nourrir leur vie spirituelle dans leur lieu-ressource, être. Simplement, pleinement et librement être.
Lorsque nous cheminons avec eux depuis longtemps, nos amis prêtres sont parfois de nos voyages. Nous pouvons aussi leur proposer de s’arrêter quelques jours dans notre location de villégiature, leur offrir de se laisser porter par l’ambiance estivale libre, active et joyeuse, de profiter des longues soirées sur nos terrasses, de repas sains, colorés et savoureux arrosés d’un petit vin du terroir dont on ramènera une caisse à la maison. Leur offrir de ranger la montre et le téléphone et de refaire le monde au soleil couchant. Leur prêter notre maison de campagne si nous n’y sommes pas est aussi un cadeau précieux : un espace où ils peuvent simplement être, sans sollicitations, sans obligations. Quel bienfait que cette simplicité !
Refaire sa capacité d’attention
Pas besoin d’aller bien loin pour refaire son attention, pour s’émerveiller, toujours et d’une manière nouvelle, sur les beautés de la création divine. "Combien de fois la clarté des étoiles, le bruit des vagues de la mer, le silence de l’heure qui précède l’aube viennent-ils vainement se proposer à l’attention des hommes ? Ne pas accorder d’attention à la beauté du monde est peut-être un crime d’ingratitude si grand qu’il mérite le châtiment… d’une vie médiocre." L’enjeu de refaire ses capacités d’attention pendant la pause estivale, nous le voyons, est de taille.
Dans L’Attente de Dieu, l’auteur de ces mots, Simone Weil, partage le trésor de son intuition spirituelle. "La prière est faite d’attention, écrit-elle. La qualité de l’attention est pour beaucoup dans la qualité de la prière". Dans la qualité de l’étude aussi, qui est ouverture et réception, et également dans la qualité des relations humaines qui sont contemplation sans consommation. C’est alors que des fruits de joie apparaissent, la joie qui est, dit-elle, "la plénitude du sentiment du réel". Nous-mêmes et nos prêtres, quand notre calendrier nous permet de vivre à notre propre rythme, quand nous nous détachons un peu de nos connexions qui souvent nous distraient et nous fatiguent, les plans sur la comète se suspendent, les pensées s’apaisent, nous pouvons prendre le temps de regarder le monde avec une attention nouvelle, et ainsi ajuster notre relation avec toutes ses créatures et son créateur.