Auprès de bons amis, le besoin de partager un moment compliqué ou un tracas de sa vie conjugale peut être tentant pour trouver conseils ou réconfort. Comment discerner ce qui est racontable ou non, comment préserver l’intimité de sa relation amoureuse ? Si ma relation de couple bat de l’aile, que raconter à ses proches ? Aleteia a interrogé Bénédicte Dujoncquoy, conseillère conjugale au sein du Cabinet Raphaël : "Le sujet est délicat, parce que quand on porte quelque chose de difficile, on a besoin d’en parler. L’important va alors être de trouver une oreille attentive et mesurée, de bien choisir la personne qui saura nous écouter dans une juste mesure".
Deux écueils à éviter : tout cacher ou trop en dire
Pour sauver les apparences, certains conjoints arrivent à donner le change, envers et contre tout, explique Bénédicte : "Trop de personnes dissimulent leurs soucis conjugaux, comme s’ils avaient une injonction intérieure à sembler parfaits. Le couple suscite l’admiration et ne descend surtout pas de son piédestal". Ces faux-semblants empêchent le couple d’être en vérité et masquent une faille sans la combler : quand la faille s’ouvre trop, la chute est d’autant plus violente ! La faille la plus dangereuse reste celle de la violence conjugale : à ce stade, il est de rigueur absolue d’en parler pour se sauver soi-même et sortir d’un prisme infernal dans lequel l’enfermement et la minimisation des faits arrivent vite.
A l’inverse, souligne la conseillère conjugale, d’autres couples surexposent leur vie : demande en mariage en public, albums photos sur les réseaux sociaux, déballages de leur vie personnelle dans les dîners en ville… Bénédicte Dujoncquoy met en garde ces couples : trop en dire n’est jamais sain et expose le couple à mille influences non nécessaires (commentaires, comparaisons, jalousie, etc.).
Quand parler est une nécessité : le compromis du confident de confiance
Que faire alors, quand le couple bat de l’aile et qu’un réconfort ou des conseils sont recherchés ? Bénédicte Dujoncquoy recommande de choisir une personne à qui se confier dans ses amis, du même sexe, et "à condition que cet ami ne prenne pas parti et reste à sa place de personne écoutante. Un bon ami ne met pas de l’huile sur le feu ni n’expose à tout vent la vie du couple en difficulté. Un confident de confiance ne se sent pas une âme de sauveur tout-puissant non plus. Il sait trouver une juste place pour réconforter, guider, sans en faire plus que nécessaire. Quand la situation du couple qui va mal est trop difficile, il peut leur conseiller l’aide d’un thérapeute ou conseiller conjugal."
Il paraît ainsi primordial de se mettre d’accord en couple sur les sujets qu’on veut garder privés et ceux qu’on accepte de partager.
Si Bénédicte Dujoncquoy insiste sur cette notion d’oreille amicale à bien choisir, c’est que parmi les amis qui veulent aider, certains prennent une place qui n’est pas la leur : des amis qui se surinvestissent et prennent trop de place dans la relation du couple, d’autres qui sont bavards et répètent à d’autres, qui n’ont pas de recul, les difficultés confiées. Là, prévient la conseillère, l’engrenage peut être rapide : "C’est une sorte de pelote qui se crée, tout le monde a son avis, conseille, commente, cela peut envenimer une relation très rapidement ! Mettre au courant le cercle d’amis pour aider un couple en crise semble être une fausse bonne idée."
La personne qui confie ses problèmes conjugaux à un ami doit réaliser qu’il va interférer dans la vie de son ami : lui faire porter son sac de problèmes, lui prendre de son temps qu’il ne partagera plus avec son propre conjoint, etc. Si l’amitié est une valeur essentielle et importante dans un épanouissement personnel, le couple doit garder la première place s’il veut être préservé, souligne Bénédicte Dujoncquoy. "Quand un conjoint donne plus de place à ses amis qu’au couple, communique davantage avec eux, il faut s’interroger. Tout ce que je vais dire à mon ami, mes amis, c’est autant de chose que je ne vais pas partager avec mon époux, mon épouse."
Préserver le trésor de la relation amoureuse
Bénédicte Dujoncquoy le constate en entretien de conseil conjugal : bien souvent un des deux conjoints – plus particulièrement les femmes – parle plus que l’autre à ses proches, ce qui contrarie le conjoint qui ne comprend pas qu’un problème conjugal puisse être un sujet de conversation ! Certains tempéraments ont davantage besoin de cette proximité avec autrui et de ces bavardages, d’autres ont besoin a contrario de sobriété, de discrétion. Un recentrage sur l’intimité de la relation est alors nécessaire ainsi qu’une discussion à deux sur ce qu’on souhaite ou non partage publiquement.
Est-ce que ce que je raconte à mon ami va vraiment m’aider à mieux aimer mon conjoint ?
Il s’agit également, en prenant soin de ne pas trop en dire sur sa vie conjugale, de se préserver des remarques extérieures. La conseillère donne l’exemple de petites piques telle que "Dis donc tu pourrais un peu plus aider ta femme !" qui sont des intrusions dans la relation. Elle insiste : "Une relation amoureuse, une relation conjugale, c’est un trésor, c’est précieux ! Il ne faut pas laisser le coffre ouvert et jeter les pièces un peu partout… Il perdra toute sa valeur." Il paraît ainsi primordial de se mettre d’accord en couple sur les sujets qu’on veut garder privés et ceux qu’on accepte de partager. Si les retours tardifs du conjoint après le travail, par exemple, sont source de mécontentement, il est essentiel d’en parler d’abord à deux avant d’aller le raconter dans un dîner en ville ! Si la communication conjugale existe et est privilégiée, alors le besoin de s’épancher auprès d’autrui diminuera de facto. Bénédicte Dujoncquoy préconise de préserver au maximum son intimité notamment sexuelle : les comparaisons sont poisons et l’acte sexuel doit garder sa préciosité et son aspect privé.
Se méfier des étiquettes indélébiles
"Quand on partage son intimité on enferme le conjoint derrière une étiquette", prévient la spécialiste. L’émotion vécue au moment d’une discussion peut entraîner des confidences excessives ou intrusives qui malheureusement resteront en tête de la personne qui nous écoute. Parler de son conjoint à un ami c’est écrire sur lui, à l’encre indélébile. Bénédicte Dujoncquoy évoque cet épisode de la vie de saint Philippe Néri : "Une femme est allée se confesser et a confessé avoir médit". Mais "le saint, qui était joyeux, bon, également peu regardant, lui dit : “Madame, comme pénitence, avant de vous donner l’absolution, allez chez vous, prenez une poule, plumez-là et ensuite allez dans votre quartier et semez les plumes de la poule, puis revenez”". Le jour suivant, "la dame est revenue : “Je l’ai fait, mon père, voulez-vous me donner l’absolution ?”". La réponse de saint Philippe Néri est éloquente : "Non, il manque quelque chose, Madame, allez dans le quartier et ramassez toutes les plumes" car "c’est cela la médisance : salir l’autre". De fait, "celui qui médit, salit, détruit la réputation, détruit la vie et bien souvent sans raison, contre la vérité". Les mauvaises paroles comme les plumes, une fois dispersées, paraissent bien compliquées à ramasser tant elles ont été dispersées par le vent.
Cette anecdote appelle à la prudence dans les mots échangés, en particulier quand ils parlent d’autrui, en l’occurrence d’un conjoint que l’on aime et respecte. Cette étiquette posée peut être rappelée, sans mauvaise intention, par un ami plusieurs années plus tard et provoquer un sentiment très désagréable : pourquoi se rappeler de ces propos sur la personne que j’aime ! Si un sujet tracasse, il peut être abordé sous l’angle de la relation, sans toucher à l’intimité de la relation de couple : il s’agit d’extrapoler et d’évoquer un thème plutôt qu’un exemple concret, cela dans le but de préserver le conjoint et sa vie privée.
Bénédicte Dujoncquoy conclut par un conseil précieux : s’il n’est pas interdit de se confier à une oreille amicale, il peut être bon et sain de se demander, à chaque discussion personnelle : est-ce que ce que je raconte à mon ami va vraiment m’aider à mieux aimer mon conjoint ?