Parmi les descendants de ceux qui ont été reconnus pour leur héroïcité, leur martyre ou leur sainteté, certains deviennent les dépositaires de leur message. S’ils ne sont pas les seuls à connaître la vie de leur "saint de famille", ils ressentent un devoir de faire vivre cet héritage spirituel. Chez Constance, c’est son grand-oncle Mary-Georges Cressonier (1908-1968), prêtre martyr des Missions étrangères de Paris (MEP) qui veille sur la famille. "Oncle abbé", car c’est ainsi que l’appellent affectueusement tous les membres de sa descendance élargie (quelques centaines au total !), a été tué avec un autre missionnaire par les Viêt-Cong, à Hué, la ville impériale située au centre du Vietnam, le 13 février 1968. Profitant d’un semblant d’accalmie des combats, il a voulu visiter une communauté de religieuses dangereusement isolée. Le couvent déserté, le missionnaire a décidé de rapporter le Saint Sacrement dans un petit tabernacle fermé à clé. Le village, apparemment vide, renfermait des "tireurs isolés". Ils n'ont pas hésité à abattre les deux missionnaires en soutane, le Saint Sacrement en main…
« Savez-vous, confie-t-elle entre de multiples anecdotes, quel est le dernier mot que l'oncle abbé a prononcé juste avant de mourir ? C’est le nom de « Jésus »…
Quand Constance, mère de famille bourbonnaise de 49 ans, confie à Aleteia le récit des derniers instants de vie de son grand-oncle, le timbre de sa voix change sans cesse. L’émotion est palpable comme si elle avait connu l'oncle abbé et comme si elle avait d’innombrables souvenirs d’enfance avec lui… Pourtant, il est mort six ans avant sa naissance. "Savez-vous, confie-t-elle entre de multiples anecdotes, quel est le dernier mot que l'oncle abbé a prononcé juste avant de mourir ? C’est le nom de "Jésus"…
Oui, il est très présent dans notre famille, continue-t-elle, il est dans nos gênes, ma fratrie et moi, nous avons grandi avec lui, tant notre grand-mère, sa "sœur chérie" nous parlait de lui, souligne-t-elle. C’est une présence lumineuse, puissante et quotidienne à la fois, ajoute encore la mère de famille. D’ailleurs, ses parents se sont rendus plusieurs fois au Vietnam pour se recueillir sur sa tombe. Ils restent en contact avec les Missions Étrangères de Paris pour comprendre les circonstances exactes qui entourent sa mort. Si, pour l’instant, le martyr de l’abbé Mary-Georges n’est pas reconnu officiellement, Constance comme son mari, Lionel, ressentent le devoir de transmettre cet héritage spirituel incarné par l’abbé Mary-Georges à toute la famille, et bien au-delà.
C’est le jour où une messe pour le repos de son âme a été dite par le cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân (grande figure de l’Église du Vietnam, emprisonné par les autorités communistes pendant 13 ans à cause de son ministère, ndlr), que Constance, alors adolescente a pris conscience qu’elle avait un saint dans sa famille. "À l’époque, la présence d’un cardinal m’avait fait prendre conscience que la figure de l’oncle abbé dépassait sans doute la compréhension que j’avais de lui depuis ma naissance, depuis que son histoire exemplaire avait tellement impressionné la famille qu’il était devenu un sujet de référence et d’exemple pour chacun d’entre nous. Ce jour-là, j’ai compris que son sacrifice, reconnu par un cardinal de l’Église, avait une portée qui dépassait de loin le cadre familial. Mgr Van Thuân était venu de Rome, où il était exilé, juste pour prier pour "l’oncle abbé" ! Celui qui avait été son professeur de latin au Vietnam dans les années 1960 !
“Donner sa vie à Dieu jusqu’au dernier moment, poursuit Constance, crier Jésus au moment de recevoir la balle, c’est ce qui m’aide à me rendre compte que la vie sur terre est un infime passage.”
"Nous le prions spontanément, tous les soirs en famille. Quand les choses ne vont pas, on lui demande son intercession. Quand tout va bien, on sait lui dire merci", explique encore Constance. Quel est son trait de caractère qui inspire particulièrement la famille ? À cette question, la réponse de Constance est immédiate : "Le don total de sa personne : donner sa vie à Dieu jusqu’au dernier moment, poursuit-elle, crier Jésus au moment de recevoir la balle, c’est ce qui m’aide à me rendre compte que la vie sur terre est un infime passage.
C’est un encouragement à consacrer notre vie à la sainteté, tout simplement parce que la vie future est infinie. Par son martyre, l’oncle abbé a fait un don total, pas moins que cela. C’est ce qui m’impressionne le plus, parce que je ne sais pas si je pourrais donner ma vie comme lui l’a fait. Certes, nous ne sommes pas tous appelés à vivre des événements aussi dramatiques. Il y a les petits gestes de chaque jour. Les miens, comme mère de famille, je les offre au bon Dieu, quand il s’agit de manifester une attention ou un geste de plus auprès de l’un ou l’autre de mes cinq enfants. Mais, s’interroge Constance, aurai-je assez de courage pour donner ma vie au nom de la foi ? Je ne sais pas."
Sur sa tombe à Hué au Vietnam, juste deux mots : « Co Bau », le surnom donné par des Vietnamiens qui signifie « Père précieux ».
Reine, Fleur, Brune, Zita et Sixte - les enfants de Lionel et de Constance - semblent être nourris par l’histoire de l’oncle abbé. Ils connaissent déjà d’autres vies de martyrs et de saints, sauf que lui, il fait partie de la famille. "Nos enfants le chérissent parce qu’il est tout d’abord le frère de leur arrière-grand-mère. Ils n’en parlent pas trop autour d’eux, même s’ils veulent que sa cause ne tombe pas dans l’oubli." Le couple est très attaché à cette mission, héritée de l’histoire de la famille de Constance que Lionel a fait sienne très spontanément en l’épousant : la transmission du modèle du prêtre missionnaire auprès des jeunes générations, bien au-delà du cercle familial. "Fiancés, nous avons redécouvert l’oncle abbé ensemble, nous avons grandi avec lui ensemble depuis notre mariage, et nous l’avons adopté ensemble", ajoute Constance. C’est ce trésor spirituel qu’ils essaient depuis de partager : "Nous avons essayé de faire comprendre à nos enfants que s’ils sont amenés un jour à vivre des choses difficiles, y a deux choses qu’on ne pourra jamais leur retirer : leur foi et leurs souvenirs. On le leur répète : Souvenez-vous de l’Oncle abbé, peut-être qu’un jour ça sera à vous, ça sera votre tour de témoigner de votre foi", explique-t-elle encore.
Et elle conclut l’entretien avec Aleteia avec humilité : "Mon grand-oncle n'est pas un trophée familial pour se vanter ou s’enorgueillir, il est un étendard qui nous conduit vers la sainteté !" La conviction qui l’habite, la douceur et la joie avec lesquelles Constance s’exprime, ne sont-ils pas l’héritage transmis par le modèle rayonnant de son Oncle abbé ?