Je voudrais bien partager le désespoir exprimé par nos éditorialistes face à une France ingouvernable, une France perdue parce que privée d’une majorité absolue à la botte du Président de la République ; mais je n’y peux rien, tout gaulliste que je suis, je n’arrive pas à me lamenter sur le sort politique du pays. Plus encore, je trouve plutôt saine la situation issue des urnes dimanche dernier. Serait-elle malsaine que d’ailleurs je l’accepterais tout autant, puisqu’elle vient des urnes. J’ai toujours trouvé étrange la méfiance que manifestent les professeurs de démocratie quand les électeurs ne font pas exactement ce qu’ils leur avaient demandé. L’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale est un fait démocratique. Et elle est aussi finalement une bonne nouvelle, pour trois raisons.
Les bénéfices de la proportionnelle
La première raison, c’est qu’il n’a pas été nécessaire de réintroduire le scrutin proportionnel pour que les électeurs envoient au Palais Bourbon des députés capables de représenter les nuances du pays. Si l’Assemblée est aujourd’hui éclatée, c’est que le pays est profondément divisé. Ajouter à la fracture nationale une représentation parlementaire déformée ne fait qu’aggraver les choses. Nous l’avons vu tous les jours depuis 2007. Et ces dernières années, les Gilets jaunes, les protestations désordonnées et les réponses maladroites qui leur ont été apportées par le chef de l’État avec les "grands débats nationaux" et autres conventions citoyennes, ont accéléré l’œuvre de déconstruction de notre République. Les Français se sont montrés assez intelligents pour se mettre en travers de cette œuvre de liquidation et ne pas faire de la loi électorale un obstacle.
La question de la représentation électorale est en France aussi vieille que la République. Il y a deux cent trente ans, Mirabeau dénonçait déjà les risques du scrutin majoritaire : "Les assemblées sont pour la Nation une carte géographique, disait-il, elles doivent garder les proportions de l’original." Un siècle plus tard, Gambetta répétait la même chose : le scrutin majoritaire d’arrondissement était pour lui "le miroir brisé où la France peine à retrouver son image". Et la droite aussi était de cet avis : Flandin refusait le scrutin majoritaire, ce "tout ou rien" qui préparait les frustrations et les révoltes. En 1945, le général de Gaulle institua le scrutin proportionnel aux législatives, contre l’avis de Capitan et de Debré. En temps d’orage, comme aujourd’hui, il voulait que toutes les sensibilités fussent représentées au Parlement, faute de quoi elles se disputeraient dans la rue ou aux abords des stades. Un mérite des dernières élections aura été de dédramatiser le choix du scrutin : nous avons réussi à obtenir avec un système majoritaire le résultat qu’aurait donné l’application d’un scrutin proportionnel. Coup de chapeau aux électeurs !
Le retour de la politique
La deuxième raison, c’est que la politique est de retour. La France n’en finissait pas de se désintéresser de sa vieille passion politique : elle ne va pas tarder à s’apercevoir que la politique est au cœur de la vie. Elle va revivre. Le débat parlementaire va de nouveau exister. Nous allons aussi enfin savoir si Emmanuel Macron, éternel recalé — à Ulm, à Canberra, au Palais Bourbon — est bien ce surdoué qu’on nous dit. Sera-t- il un habile politique ? Sera-t-il capable de constituer une majorité d’idée, en aura-t-il la patience et le savoir-faire ? Osera-t-il prendre une initiative disruptive, comme par exemple de proposer aux groupes parlementaires de changer la loi électorale avant de dissoudre l’Assemblée ? Démissionnera-t-il ? Et pour quoi proposer ?
Pour l’heure, le président réélu semble n’avoir rien appris et rien oublié. Il reçoit lui-même les chefs de partis pour des consultations à l’Élysée, comme si le Premier ministre n’existait pas ; il rengaine au premier froncement de sourcil son ridicule Conseil national de la refondation, comme il était prévisible ; et pendant ce temps, "en même temps" faut-il dire, Mme le chef du gouvernement réunit à Matignon des ministres morts-vivants qui ne cachent même plus la nudité du roi. Affaire à suivre !
Un test de résistance
La troisième raison de nous réjouir, c’est que notre Constitution va connaître un opportun stress test comme disent les banquiers, un test de résistance à la bourrasque. Nous allons mesurer en grandeur réelle la vertu, la souplesse et la solidité du système né en 1958. Même dégradés par de mauvaises réformes, les outils du parlementarisme rationalisé vont montrer leur pertinence. À moyen terme, une fois les désordres apaisés, la Constitution de la Ve République sortira très probablement renforcée.