"Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?", interroge avec tant de grâce et de légèreté Cyrano de Bergerac sous le balcon de la belle Roxane. Mais quand le baiser est instrumentalisé et sert à revendiquer des droits LGBT dans un film pour enfant, il est porteur d'un enjeu tout autre.
Les fans de Buzz l’Éclair, personnage-jouet des films Toy Story, connaissent la devise de l’arrogant astronaute : "Vers l'infini, et au-delà !". Une devise que semblent s’être appropriés les studios Disney et Pixar dans leur course à la promotion des droits LGBTQIA+. Comme s’ils voulaient s’excuser, voire se repentir, pour ces décennies pendant lesquelles des princesses Disney ont embrassé et épousé des princes charmants devant les yeux de millions de jeunes téléspectateurs.
Buzz l’Éclair, un acte de contrition ? Alors que Disney entretient savamment le mystère et les rumeurs autour des orientations sexuelles de la reine des Neiges ou de la jeune Mirabel du film Encanto (2021), épargnant ainsi d'innocentes paires d’yeux à qui cela importe peu, les studios américains franchissent cette année un cap en dévoilant dans le film Buzz l’Éclair qui sort en France ce mercredi 22 juin, un baiser entre deux femmes lesbiennes. Si la scène est décrite comme fugace, cela demeure sans doute suffisant pour troubler plus d’une jeune âme.
Une scène qui vaut d’ailleurs au film d’être interdit dans une douzaine de pays du Moyen-Orient et d'Asie à majorité musulmane : Bahreïn, Égypte, Indonésie, Irak, la Jordanie, Koweït, Liban, Malaisie, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Syrie et les Émirats Arabes Unis.
"Nous avions été prévenus que ce serait une issue probable", a déclaré la productrice américaine Galyn Susman. "Mais nous n'allions pas changer le film que nous voulions faire simplement à cause de quelques pays avec - faute de meilleur terme - des croyances rétrogrades", ajoute-t-elle.
Au Pérou, une chaîne de cinémas, Cine Planet, avait accollé le 16 juin l'avertissement "théorie du genre" à la programmation. Mais face à une forte controverse, la société distributrice a finalement annoncé le 18 juin que cet avertissement n'était pas approprié.
"50% des personnages de Disney devraient être gays"
La scène du baiser avait pourtant été coupée initialement par les studios Pixar, filiale de Disney. Mais certains employés de ces sociétés se sont insurgés, accusant le numéro un mondial du divertissement de ne pas s'engager pour défendre les droits des personnes LGBT. La scène a donc été rétablie.
Cette volonté de la part de Disney d’afficher un engagement fort auprès de la communauté LGBT n’est pas nouvelle. Mais elle s’est considérablement renforcée depuis quelques années, notamment avec le lancement de leur plateforme Reimagine Tomorrow (Réimaginons demain) dont l’ambition est d’"amplifier les voix sous-représentées et les histoires inconnues", et de réaffirmer "l’engagement de longue date de Disney en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion".
C’est via cette plateforme, lancée à l’occasion du Black History Month en 2021, que Karen Burke, directrice de la branche TV de la 20th Century Fox, une filiale de Disney, a déclaré, en avril dernier, que la moitié des personnages des futurs films Disney devraient être "gays ou issus des communautés LGBTQIA+". Une vidéo qui a provoqué une levée de boucliers à travers l’hashtag #BoycottDisney sur Twitter.
"Un meilleur allié de la communauté LGBT"
Porter à l’écran des personnages gays, lesbiennes, trans ou bisexuels, est une manière pour Disney de prendre position dans le débat politique qui anime actuellement la Floride depuis qu’une loi, surnommée par ses opposants "Don't say gay" ("Ne parlez pas des gays"), a été adoptée début mars par le Sénat de Floride. Jugé homophobe par les démocrates et les lobbys LGBT, le texte empêche les enseignants d'évoquer l'identité de genre et l'orientation sexuelle à l’école maternelle et primaire.
Bob Chapek, le patron de Disney, qui dans un premier temps n’a pas pris position, s’est trouvé contraint par une partie de ses employés et par la pression médiatique, à s’engager publiquement contre ce texte. Des salariés de Pixar ont été jusqu’à diffuser publiquement une lettre, le 9 mars, dans laquelle ils accusent Disney, leur maison-mère, de censurer leurs tentatives d'inclure des personnages LGBT dans leurs longs-métrages.
Deux jours plus tard, Bob Chapek s'est adressé à eux pour s'excuser de ne pas les avoir soutenus. "Il est clair que ce n'est pas seulement une question qui touche à une loi de Floride, mais plutôt un nouveau défi aux droits humains fondamentaux", écrit-il dans un mail interne publié par Variety, média spécialisé dans le divertissement. "Vous aviez besoin que je sois un allié plus solide dans ce combat pour l'égalité des droits et je vous ai fait défaut. J'en suis désolé", poursuit Bob Chapek.
Par conséquent, le patron de Disney a indiqué que son groupe allait accentuer ses efforts pour éviter que des législations similaires ne prennent corps dans d'autres Etats. "Et aujourd'hui, nous suspendons toutes nos donations politiques dans l'Etat de Floride" jusqu'à nouvel ordre, a-t-il souligné. "Je crois sincèrement que nous sommes une entreprise infiniment meilleure et plus forte grâce à notre communauté LGBTQ+".
L'acteur Chris Evans qui double le personnage de Buzz l’Éclair a également pris position lors d'une interview donnée à Variety : "Je suis un peu frustré du simple fait que ce soit un sujet de discussion. Le but, c’est qu’on arrive à un point où ce sera la norme", a confié la star de Captain America. Un point de vue qui ne semble pas être celui du public. Sorti dans les salles ce vendredi 17 juin aux Etats-Unis, Buzz l’Éclair n’a pas fait le buzz escompté. Ce spin-off de Toy Story devait, selon les prédictions, récolter 70 à 85 millions de dollars pour son lancement. Il en a finalement rapporté 51. A titre comparatif, Toy Story 4 avait rapporté 118 millions de dollars en 2019.
Les baisers donnés à Blanche-Neige ou à la Belle au Bois Dormant, bien loin d’une quelconque instrumentalisation politique ou idéologique, ont quand même plus de charme. Mais surtout, ils n'ont rien de figuratif comme ce baiser militant, ils sont nécessaires à l'histoire, ils ont même une fonction vitale dans le conte, celle de ramener Blanche Neige et la Belle au Bois Dormant à la vie, de transformer la Bête en jeune homme et la Petite Sirène en jeune femme. Le baiser d'Alisha dans Buzz l’Éclair n'est finalement là que pour satisfaire un lobby.