Le pape François fait feu de tout bois ! Après avoir moqué les dentelles des prêtres siciliens, il fustige maintenant les partisans du "restaurationnisme" ; il nomme ainsi le courant qui, selon lui, empêche l’Église de vivre l’Évangile avec son temps, dans l’esprit de Vatican II. À des revues jésuites, comme pour se consoler, il confie qu’il faut cent ans à un concile pour s’acculturer. Il n’empêche que le pape ne retient plus son exaspération. Elle n’est pas seulement causée par ses ennuis de santé. Il réagit comme un réformateur contrarié. Contrarié par une curie romaine réticente pour appliquer la réforme de ses rouages ; contrarié par le constat que soixante ans après son ouverture, le concile suscite toujours de l’opposition ; et même une sorte de "néo-lefebvrisme" adopté par de nouvelles générations comme un antidote au progrès pourvoyeur de malheur écologique, de matérialisme consumériste et de désenchantement. Le pape François a bien l’humeur maussade d’un réformateur contrarié !
Une exception française
Dans le même temps, la critique papale des dentelles a relancé en France l’une de nos spécialités qui n’est pas gastronomique celle-là : la guerre liturgique. Cette guéguerre sempiternelle oppose toujours les mêmes tribus gauloises : d’un côté celle des tenants de la messe en latin, dite de saint Pie V, et de l’autre celle des partisans de la messe en langue vernaculaire, dite de saint Paul VI. Dans nul autre pays, cette bataille liturgique ne fait autant rage qu’en France.
Les catholiques français font partie d’un peuple foncièrement idéologique et facilement querelleur ; un peuple très politique !
Pourquoi cette exception française ? Réponse historique d’abord : la fronde contre la messe conciliaire s’est levée en France. Son porte-étendard était aussi un Français, l’archevêque Marcel Lefebvre. L’habileté de cette figure majeure du traditionalisme catholique fut d’agiter la muleta de la défense de "la messe de toujours", pour attirer toute une population affolée par le réformisme œcuménique de Vatican II. Autre explication culturelle : les catholiques français font partie d’un peuple foncièrement idéologique et facilement querelleur ; un peuple très politique ! La liturgie s’est imposée comme le terrain d’expression ultrasensible des clivages entre catholiques. La liturgie est dans l’Église ce que la laïcité est dans la République : un théâtre récurrent d’affrontements et même de déchirements.
Pluralisme liturgique
Comment se satisfaire de cette guerre perpétuelle de tranchées ? Il faudrait d’abord rappeler aux deux partis que le pluralisme liturgique est une réalité historique permanente de l’Église catholique. Ensuite, il y a probablement un œcuménisme intérieur, fait de respect et de bienveillance mutuels, à promouvoir entre membres d’une même Église, réunis en celle-ci par pour le seul et même Christ. Pour y aider, on se remémorera l’étymologie grecque et latine de la liturgie : "service pour le bien commun des gens".
Quand donc nous nous étripons sans retenue pour des histoires de lingerie de messe, nous nous détournons de ce service fondamental. Nous trahissons notre vocation d’être des liturges dans la vie de tous les jours, dans le monde affamé de beauté, de bonté et de consolation qui est le nôtre. "Avoir le sens liturgique, c’est vivre dans un temps détendu de type monastique, où chaque minute détachée de l’autre, compte pour elle-même comme si elle renfermait une petite éternité. C’est respirer lentement, regardé par des anges qui sourient", écrit le philosophe Jean Guitton. Il est nécessaire que les tenants des deux messes fument ensemble le calumet de la paix liturgique. Il n’y a pas de paix liturgique possible si on ne retrouve pas le sens véritablement liturgique de la vie chrétienne : quelque chose qui tient à la fois de l’élégance, de la dignité et de la lenteur ; quelque chose qui diffuse la joie et la paix de Dieu dans le monde turbulent et tourmenté des humains.