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Ukraine : l’envolée du prix du blé fait craindre un risque de famines

Des moissonneuses-batteuses dans des champs du district de Novovodolazhsky, dans la région de Kharkiv, en Ukraine, le 25 juillet 2017.

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Jean-Baptiste Noé - publié le 16/06/22
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La guerre en Ukraine aggrave la hausse des cours du blé. Le prix à la tonne atteint des sommets, ce qui menace de disette les pays dépendants de la production russe et ukrainienne. Docteur en histoire économique, Jean-Baptiste Noé craint des troubles dans les régions touchées par la pénurie.

Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du problème. Si l’on compare les mois de juin des années 2017, 2018, 2019, le prix de la tonne de blé est en moyenne de 175 euros. En juin 2020, à la sortie des premiers confinements, les cours marquent une légère hausse : 185 euros la tonne. Les prix continuent de croître à la fin de l’année 2020 et surtout en 2021 : 215 euros la tonne en juin 2021, 300 euros en novembre. La situation du marché du blé était fortement tendue à la fin de l’année dernière et l’on craignait alors déjà des problèmes politiques et sociaux dans les pays où le blé représente une partie essentielle de l’alimentation et des dépenses alimentaires.

La guerre en Ukraine n’est donc pas responsable de la hausse actuelle, mais elle l’a accrue et elle a compliqué une situation qui était déjà mauvaise. Dès la mi-février, avec la menace de l’invasion, puis la réalité de cette invasion, les cours ont poursuivi leur hausse : 420 euros la tonne en mars, 400 euros en juin. Entre juin 2019 et juin 2022, les prix ont été multipliés par 2,3. Tous les produits issus du blé sont concernés : farine, pain, pâtes, etc. Le spectre des disettes est réel, d’autant que le temps joue contre les récoltes : ce qui ne peut pas être semé dans les semaines qui arrivent ne pourra pas être récolté à l’été. Une situation plus tendue encore est donc à craindre à la rentrée. 

Des causes multiples

Les causes de cette hausse des prix sont multiples. La guerre en Ukraine est un facteur aggravant puisque le pays représente en 2020 9% des exportations mondiales de blé. Le premier exportateur est la Russie (19%), puis viennent le Canada et les États-Unis (13% chacun), la France (10%) et l’Ukraine. C’est donc près de 30% des exportations mondiales qui sont empêchées ou restreintes à cause de la guerre. Mais cela n’explique pas tout. La hausse des prix avait débuté dès l’été 2021 en raison des confinements successifs. Les confinements ont stoppé les chaînes d’approvisionnement et ont bloqué les transports au niveau mondial. Difficultés donc à faire circuler les engrais, les machines et les intrants nécessaires à la production des céréales. Bon nombre de grains se sont retrouvés bloqués dans les silos. Il a fallu du temps pour que le transport maritime se remette en marche et puisse évacuer les grains stockés, tout ne pouvant pas repartir d’un coup. La guerre ukrainienne s’est donc ajoutée à une situation déjà difficile. 

Comme à chaque fois qu’il y a des pénuries, certains pays restreignent leurs exportations afin de garder les grains chez eux.

Comme à chaque fois qu’il y a des pénuries, certains pays restreignent leurs exportations afin de garder les grains chez eux. C’est le cas de l’Inde qui a annoncé suspendre ses exportations en mai dernier, ce qui a eu pour effet de réduire les stocks mondiaux disponibles. Enfin s’ajoutent le mauvais temps du printemps 2021, qui a réduit la production mondiale, et la hausse des prix de l’énergie, qui enchérit les coûts de production et donc le prix de vente final. C’est donc tout un ensemble de causes qui expliquent aujourd'hui les sommets atteints par les cours du blé. L’Égypte et ses 110 millions d’habitants craignent des disettes, tout comme les pays d’Afrique, qui sont dépendants des marchés mondiaux. Macky Sall, président du Sénégal et actuel président de l’Union africaine, a demandé aux Européens, lors de son passage à Paris la semaine dernière, de trouver rapidement des solutions. 

Quelles solutions ?

Chacun craint des émeutes de la faim qui déstabiliseraient grandement les pays d’Afrique, qui sont aujourd'hui les plus vulnérables. À court terme, des solutions peuvent être trouvées pour sortir les grains stockés en Ukraine, d’autant qu’il est urgent de vider les silos afin de pouvoir les remplir avec les nouvelles récoltes qui vont arriver. À défaut, les grains stockés devront être détruits, leur durée de vie étant de six mois, et les grains en cours manqueront peut-être de lieux de stockage. Une mission humanitaire sous l’égide de l’ONU apparaît comme la solution la plus probable pour déminer le port d’Odessa et accompagner les bateaux à travers les chenaux maritimes. 

À long terme, il faudra bien que les pays fragiles trouvent des solutions pour accroître leurs productions agricoles et donc être moins vulnérables aux cours mondiaux. Dans les années 1960, l’Inde avait lancé sa "révolution verte" afin de mécaniser son agriculture et d’augmenter sa production, lui permettant de nourrir une population de plus en plus nombreuse. Les pays d’Afrique ne pourront pas faire l’impasse de cette révolution verte, ce qui impose auparavant de régler les problèmes politiques et financiers structurels qui pèsent sur leurs pays. D’autres pays pourraient aussi accroître leur production de céréales, comme l’Argentine et le Brésil, qui disposent de nombreux atouts pour être des fermes du monde et, pourquoi pas, prendre des parts de marché à l’Ukraine et à la Russie. Limiter la dépendance à l’égard de quelques États monopolistiques est une voie essentielle pour éviter d’autres tensions alimentaires de ce type. Mais cela nécessite des politiques à long terme, utiles pour les années à venir, mais qui ne règlent pas l’urgence du moment.

 

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