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“École du futur” et sens de l’histoire

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Henri Quantin - publié le 15/06/22
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En se gargarisant de "l’école du futur", l’écrivain Henri Quantin, lui-même professeur, estime que le président de la République cumule parfaitement les deux écueils de notre époque : l’autoglorification de son action et le mépris du passé qu’il faudrait transmettre.

Le problème avec les contrefaçons, c’est qu’elles vous dégoûtent des originaux. L’humanitarisme finit par faire passer la charité pour une niaiserie, la complaisance coupable rend la miséricorde suspecte et l’autoritarisme patriarcal fait prendre en horreur toute autorité paternelle. Ainsi les idées ou les vertus chrétiennes devenues folles tendent à discréditer les vérités qu’elles ont parasitées. La chose est manifeste avec l’idolâtrie du progrès, qui rend inaudible, voire insupportable, l’affirmation d’un sens de l’histoire. Le XIXe et le XXe siècles ont tant divinisé les lendemains scientifiques et les après-demain politiques qu’on en vient à soupçonner toute parole qui tente de voir plus loin que l’instant présent. Le chrétien est pourtant censé croire qu’il n’est pas jeté absurdement dans un monde sans signification ni orientation. 

Progressisme et fatalisme

Sur ce sujet, la belle et profonde analyse du père Antoine Vidalin, récemment publiée chez Artège, est précieuse. Cela s’appelle En ces temps qui sont les derniers... Apocalypse de l’histoire. Dès la première page, l’enjeu est parfaitement résumé :

Lu au moment où Emmanuel Macron nous promet, en mêlant socialisme du XIXe siècle et libéralisme du XXIe, "l’école du futur", le livre du père Vidalin est aussi éloigné du progressisme catégorique que de son contrepoint fataliste. D’une grande acuité vis-à-vis des messianismes sécularisés, l’auteur ne renonce jamais pour autant à percevoir un enjeu dans l’histoire.

L’esprit de l’enseignement

"École du futur". Même pour qui se veut lucide sur la toute-puissance de la communication en politique, la formule étonne, tant elle semble calquée sur des slogans publicitaires éculés : gagne-t-on vraiment à parler de l’école comme d’une voiture innovante, d’un rasoir à trois têtes pivotantes ou d’une brosse à dents électrique anti-tartre ? Agacé par ce discours adressé par avance aux robots, Alain Finkielkraut a eu cette sortie percutante : "Qu’apprendra-t-on dans l’école du futur ? L’avenir ?" On songe à la fameuse remarque d’Hannah Arendt, pour laquelle le conservatisme était l’essence même de l’éducation : "C’est précisément pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice." De l’éducateur, la philosophe disait encore : "Sa profession exige de lui un immense respect du passé." On objectera qu'Emmanuel Macron désignait avant tout le mode de fonctionnement des écoles, essayant de laisser plus d’autonomie au chef d’établissement. Qui ne voit, pourtant, qu’un tel slogan porte en lui bien plus qu’une question de recrutement ou d’évaluation des professeurs ? "École du mérite", "école de la République", "école coranique" : ce qu’on ajoute au substantif en dit toujours long sur l’esprit qui préside à l’enseignement.

Hérésie anthropologique

Loin des formules commerciales, "ces temps qui sont les derniers" ne sont ni des lendemains forcément radieux, ni des catastrophes inévitables. Le père Vidalin ne brandit jamais le futur pour intimider ou faire diversion devant un présent peu reluisant. Il rappelle seulement une leçon qui manquera toujours à la fois au marketing du progrès et au passéisme désabusé : "Parce que Dieu s’est révélé dans l’histoire, au plus haut point dans l’incarnation du Verbe, l’Église sait que l’histoire n’est pas une suite incohérente d’événements, mais le milieu des signes dans lesquels Dieu lui parle." Elle sait aussi que l’enjeu est pour Elle de se rendre un peu plus digne de son Époux divin, ce qui peut encore demander du temps.

En se gargarisant de "l’école du futur", Emmanuel Macron cumule parfaitement les deux écueils : glorification anticipée de son action dans l’histoire et mépris du passé qu’il faudrait transmettre.

C’est pourquoi il faut lire le bel essai du père Vidalin. Qu’il parle de la destinée d’Israël ou de la place de l’Ismaël, qu’il explique ce qui distingue la philosophie d’Hegel ou de Marx de la Croix du Christ (d’un côté la puissance du négatif, de l’autre l’Amour premier qui sauve), qu’il révèle le paradoxe d’une "transition écologique qui nous pousse dans une fuite en avant technologique avec l’idée que les solutions seront purement techniques et que les éventuels effets négatifs seront corrigés grâce à de nouvelles techniques encore plus efficaces", le père Vidalin montre tout ce qui sépare l’accomplissement de l’histoire et "l’hérésie anthropologique" contemporaine. Dans cette "hérésie", il pointe du doigt la "coexistence de l’autolâtrie et de la haine de soi". En se gargarisant de "l’école du futur", Emmanuel Macron cumule parfaitement les deux écueils : glorification anticipée de son action dans l’histoire et mépris du passé qu’il faudrait transmettre.

La mémoire de l’espérance

Tout au contraire, la théologie de l’histoire trouve dans les événements anciens la possibilité d’une espérance et d’une liberté authentiques, bien résumées par ce passage du père Vidalin sur le Nouveau Testament : "Parce que ces expériences de Dieu sont aussi celle de sa fidélité de toujours à toujours (ce que Dieu a fait, il le refera, parce qu’il ne cesse de le faire), elles demandent à être gardées en mémoire et transmises à des fils, produisant ainsi peu à peu un récit, non plus tourné vers le passé, mais engageant une histoire tendue vers un avenir et un accomplissement."

Il va de soi, comme le dit Péguy, que ce n’est pas à l’État de s’occuper de métaphysique et que nul ne demande à Emmanuel Macron de mettre en place une école de la parousie. Reste qu’on se demande bien comment l’école pourrait survivre dans un monde qui ne voit dans le passé qu’un repoussoir. Comme le note avec humour Philippe Debidour, parler de "l’école du futur" ne peut faire oublier que l’école actuelle est plutôt celle du no future, et que la langue française simplifiée qu’on y apprend est sous le signe du "no passé simple". Dans de telles conditions, on peut craindre, à l’école comme ailleurs, que le futur n’ait pas beaucoup d’avenir.

Pratique :

En ces temps qui sont les derniers…, Antoine Vidalin, Artège, juin 2022,12,90 euros.
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