En Nouvelle-Zélande, au début des années 1990, s’est opérée une réforme du domaine de la santé dont la France pourrait s’inspirer. Certes, c’était il y a trente ans, dans un petit pays relativement au nôtre, les beaux esprits vont pouvoir dire avec assurance que son modèle n’est pas applicable. Pourtant, ce serait utile que chaque Français connaisse l’histoire de cette réforme. Le système de santé néo-zélandais connaissait alors exactement les mêmes problèmes que le système français aujourd’hui : engorgement des hôpitaux, liste d’attente, personnel épuisé, paperasserie indescriptible, départ des meilleurs médecins.
Le choix démocratique a voulu que la Nouvelle-Zélande se dote d’un Premier ministre d’origine modeste, Robert Douglas, dont le père était ouvrier agricole. Socialiste au début de sa carrière politique, ses idées évoluent avec le temps et les voyages. Il trouve les mots pour persuader ses concitoyens, en particulier les socialistes, de changer de fond en comble leurs modes de raisonnement.
L’un des problèmes les plus graves des systèmes d’assistance et des systèmes gratuits, c’est que l’on prive les personnes du droit et de la possibilité de faire des choix.
Il commence par s’attaquer au système de santé dont les coûts dérapaient complètement, fait d’autant plus grave que c’est alors la première activité économique du pays et de très loin. Le manque de compétitivité du secteur est en train d’affecter la société tout entière puisque ses surcoûts sont réintégrés dans les prix de revient, par le biais des charges salariales, et nuisent à la compétitivité. Le système a, aux yeux de Roger Douglas, deux défauts : il est complètement gratuit, ce qui a pour effet qu’on consulte l’hôpital même quand ce n’est pas vraiment essentiel et surtout, des études montrent que 70% des problèmes viennent du fait que les gens ne prennent pas soin d’eux-mêmes.
Douglas est un homme à la fois conceptuel et concret. Il revient aux fondamentaux et d’abord au concept de responsabilité personnelle. Ensuite, il fait complètement confiance aux systèmes concurrentiels et son obsession est que chacun, quelle que soit sa place dans la société, puisse prendre les décisions qui le concerne et l’assume. Il réussit à casser l’idée fausse que les personnes modestes et peu éduquées sont incapables de prendre leurs responsabilités. Si on refuse cette idée simple, dit-il, on rentre dans un système de socialisme étatique et toute l’énergie de la population s’étiole. L’un des problèmes les plus graves des systèmes d’assistance et des systèmes gratuits, c’est que l’on prive les personnes du droit et de la possibilité de faire des choix. Il faut donc lutter contre la pratique de soutien sans réciprocité.
Être responsable de sa santé
Le principe fondamental de la gestion du système de santé néo-zélandais est le numerus clausus qui produit de gigantesques listes d’attente avec des problèmes dramatiques pour les gens qui ont de graves maladies. Le système génère des différences de coût de 1 à 6 entre les hôpitaux pour les mêmes pratiques ; l’excellence coexiste donc avec la médiocrité la plus absolue. Les meilleurs médecins, écœurés de ne pas pouvoir travailler comme ils le veulent, quittent le pays ; la plupart des Néo-Zélandais en arrivent à l’idée qu’ils ont droit à tous les services de santé en oubliant leur responsabilité personnelle à l’égard de leur propre santé.
Le Premier ministre commence par expliquer qu’on ne pourra pas rembourser sans discuter les ennuis de santé que les gens s’infligent par leur propre faute (l’alcool, la drogue et le tabac sont visés). Pour lui, l’explication du problème est simple : les procédures naturelles de marché ont été remplacées par la loi, les ordonnances et la bureaucratie. La réforme qu’il propose se fonde sur l’idée que chacun paye ce qui est courant et qu’il est responsable de prendre une assurance contre tout ce qui est grave et à petite probabilité. Pour les moins favorisés, ceux qui ont du mal à s’offrir une assurance, le gouvernement donnera des aides financières personnalisées, mais le choix de l’assurance continuera à appartenir à chacun. L’ancienne Sécurité sociale est remplacée par cinq sociétés d’assurance concurrentes qui ont repris tout le personnel, les feuilles de paye sont augmentées des anciens coûts prélevés sur elles au 1er janvier de l’année où le changement a été décidé.
Le développement de la prévention
Les opérations les plus graves, celles qui demandent un très gros capital restent du ressort de l’État. Les actes les plus simples ne sont plus remboursés et les traitements intermédiaires sont couverts par l’assurance. L’assureur obtient le droit d’établir des classes de risques comme pour l’assurance automobile afin d’encourager chacun à prendre soin de sa santé. C’est la concurrence qui détermine les prix offerts. Dans la pratique, cette concurrence entre assureurs, hôpitaux et médecins rend la chaîne infiniment plus efficace, l’écart de coûts entre hôpitaux disparaît très vite, les hôpitaux inefficaces ayant été repris par d’autres. Le système hospitalier se rationalise par produits et par zone géographique. Les hôpitaux publics sont rachetés par les médecins et les employés, qui perdent leur statut dans la fonction publique mais qui deviennent propriétaires de leur activité. De grands groupes mondiaux investissent dans le pays en apportant leur technologie. De nouvelles méthodes voient le jour, notamment l’accouchement à domicile et le recours aux sages-femmes. On observe une baisse significative des coûts contrairement à tout ce que les experts avaient prédit.
L’un des effets les plus inattendus de la réforme est le fort développement de la prévention. Les assurances ont proposé des cotisations différenciées pour ceux qui se soumettent à des check-up annuels et ont augmenté leurs prix aux alcooliques et au fumeurs. Ces dernières mesures ont provoqué la saisie du Parlement, qui a adopté l’idée selon laquelle il fallait prendre soin de soi et a autorisé la différenciation des tarifs ! Ce premier succès encourage Roger Douglas à privatiser la gestion de la retraite en recourant à la capitalisation en tenant compte du nombre d’années travaillées. Il ferme des ministères et vend le palais présidentiel pour frapper les esprits. Résultat, les dépenses publiques ont baissé de 25% et la dette qui explosait avant les réformes s’est littéralement effondrée en 15 ans. Douglas a raconté cette formidable transformation dans son livre Unfinished Business (Random House). Point d’orgue de ces réformes ? La reconquête par les "Néoz" de la coupe de l’America ! Mais ceci est une autre histoire…