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Anatolia, un film brillant sur la dureté d’un pensionnat turc

Film Anatolia de Ferit Karahan

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Louise Alméras - publié le 07/06/22
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Le cinéaste turc Ferit Karahan signe un film magnifique sur l’atmosphère d’enfermement dans un pensionnat pour garçons au beau milieu de l’Anatolie. Entre mensonge et violence dissimulés, hommes et garçons tentent de déjouer le sort sans échapper à la culpabilité.

Sous le froid extrême de la Turquie de l’Ouest, en Anatolie, la neige recouvre tout de son silence et son apesanteur, de sa blancheur, aussi. En apparence, seulement. Le pensionnat aux allures de prison, voire d’orphelinat, est aussi un lieu où les garçons sont éduqués à devenir soldats. Le réalisateur lui-même a passé six ans dans un tel conditionnement. Six années desquelles il garde colère et amertume. Après sept ans à travailler le scénario, il a fallu qu’il s’apaise et parvienne à regarder de haut pour retranscrire un aspect de la société turque actuelle. La lecture de l’auteur d’origine roumaine Herta Müller, bercée par l’horreur du règne de Ceausescu, l’a aidé à en évoquer la similitude avec la Turquie d’aujourd’hui : l’absence suffocante de liberté. Retenu dans la sélection Panorama de la Berlinale 2021, ce film est très finement mené à travers un suspens haletant couplé à une manière de filmer exemplaire. 

L’enfance sous cloche ou le visage de l’autoritarisme

L’hiver déborde de partout ici, dans la dureté des enseignants, celle des enfants entre eux, dans les conditions de travail, jusque derrière les murs du pensionnat, des dortoirs jusqu’aux douches. Et cette froidure extrême, loin d’être l’affaire seule du climat, s’impose aux enfants et aux hommes pour mieux servir l’État. Le cinéaste rend compte du cycle pernicieux engrangé dans les années 90 quand la Turquie vivait avant tout de conflits. À l’en croire, le seul moyen d’éviter d’être enrôlé dans l’armée était de devenir enseignant. Et, à son tour, de former de futurs soldats.

Yusuf, garçonnet de onze ans aux cheveux courts, s’accroche à son amitié avec Mehmet, surnommé Memo. La seule bulle de douceur et d’humanité qu’il ait trouvé ici, sans doute. Quand celui-ci tombe malade, il passe la journée à s’occuper de lui, à le porter, à prévenir les adultes de son état de santé. On découvre l’inefficacité de l’infirmerie où seule l’aspirine est administrée — faute de savoir à quoi servent les autres médicaments —, et sur le sol de laquelle tous les adultes manquent de glisser en entrant, à cause de la neige fondue sur le carrelage. Symbole de l’évanouissement de l’autorité aveugle, devenue inutile, face à l’enfant malade qu’il faut à tout prix secourir. Depuis le matin, le chauffage défectueux s’est arrêté. En classe, Yusuf est distrait, ne travaille pas. Dehors, il assiste à l’impuissance des adultes pour emmener Memo à l’hôpital, toujours prompts, pourtant, à faire montre de leur violence. Comme cette scène où un enfant est tenu par le directeur de ramasser à mains nues du verre brisé, dans le froid glacial, après avoir fermé trop fort une fenêtre fragile. Impossible d’utiliser une voiture à cause de la neige pour emmener Memo, impossible de savoir ce qui a réellement causé sa maladie.

Peu à peu, l’infirmerie devient la scène d’un tribunal, où tous les responsables potentiels sont conviés. Il y a les trafics de cigarettes, interdites, avec lesquelles les enfants soudoient les adultes, les douches froides punitives, les crânes que l’on rase en partie à la moindre contrevenue ou incartade, et le chauffage ne marche plus (le titre initial, School haircut, fait référence à cette punition des crânes rasés). Il y a l’unique douche par semaine, la sorte de bénédicité en l’honneur de l’État avant les repas, les règlements de compte entre enfants et ce monde d’hommes, où l’empathie est peu présente. Memo est malade, inconscient et sans force, et personne ne comprend pourquoi. Sauf Yusuf, sans doute, qui ne trouve pas même de réconfort auprès de sa mère qu’il parvient à appeler en cachette. Les adultes se démènent pourtant, à leur manière, pour trouver une solution. Tous confrontés à l’aporie de la situation — qui n’est en fait que la résultante d’un effet domino — l’enfant est de toute façon toujours tenu pour responsable. Ferit Karahan conte avec beaucoup d’intelligence le système d’oppression au sein d’une école, coupée du reste du monde et enfermée sur elle-même, où l’enfance se vit contre les règles, sinon jamais. 

Pratique

Anatolia, de Ferit Karahan, avec Nurullah Alaca et Samet Yıldız, 1h25, en salle le 8 juin
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