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Forum de Davos, retour à l’humilité?

Klaus Schwab, fondateur et président du Forum de Davos en Mai 2022

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Tugdual Derville - publié le 02/06/22
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Le dogme de la mondialisation triomphante et des droits absolus de l’individu a pris un sérieux coup de bâton avec la crise sanitaire mondiale et le retour de la guerre en Europe. Pour Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, les dirigeants de la planète seraient bien inspirés de redécouvrir la vertu de la subsidiarité.

Après deux ans de suspension, pour cause de pandémie, le Forum économique mondial vient de se réunir à Davos "en présentiel", mais sous le signe du désenchantement. Fallait-il cette salve de crises globales pour que les dogmes mondialistes autour desquels se réunissent depuis plusieurs décennies les élites de la planète se muent en doute ? Ils promettaient la prospérité, voire le bonheur pour tous, grâce à la croissance économique continue, au partage géographique des tâches et à "l’optimisation logistique", le tout permis par le développement exponentiel du commerce mondial, lui-même favorisé par le libre-échange généralisé… Et voilà que, successivement, le Covid et la guerre en Ukraine ont rappelé de dures — et salutaires — réalités : l’ultra-libéralisme enrichit assurément les plus riches — plus encore en temps de crise — mais il semble appauvrir les plus vulnérables et ne suffit pas à sortir l’ensemble des pays de la pauvreté. L’être humain se trouve traité en variable d’ajustement au nom d’une prospérité dont beaucoup ne bénéficient pas ou peu.

Incorrecte mondialisation ?

L’édition 2022 du forum de Davos a déploré la défection d’une bonne partie des dirigeants de la planète : à cause de la pandémie, qui confinait à nouveau Shanghai, seule une pincée de Chinois a fait le déplacement ; à cause de la guerre déclenchée par leur pays, les oligarques russes, aux fastueuses soirées desquels on se pressait, se sont abstenus. L’ancien pavillon russe était d’ailleurs animé par… l’Ukraine. De nombreux chefs d’État également ont boudé l’évènement, la mondialisation triomphante étant devenue, pour certaines opinions publiques, politiquement incorrecte : la précarité monte, mais les multinationales pharmaceutiques, agroalimentaires et pétrolières prospèrent. Depuis la crise financière de 2008, les richesses se concentrent et les écarts se creusent.

Il ne s’agit certes pas d’inverser le paradigme : un État fermé sur lui-même n’est pas plus protecteur que "le monde". Qu’il suffise d’évoquer la triste Corée du Nord. Depuis le début de l’histoire, la coopération entre les peuples est un précieux facteur d’unification, d’enrichissement et de progrès de la "famille humaine". Mais le déni — voire le mépris — des nations et des frontières s’avère illusoire.

Le retour de la subsidiarité

À Davos, donc, l’inquiétude dominait : on sait que l’économie déteste l’incertitude ; or, l’incertitude est omniprésente. À lire les déclarations glanées par les journalistes auprès de certains des 2000 participants du Forum (contre 3.000 lors de la précédente édition en 2020), le changement de ton est évident. Les chaînes d’approvisionnement, dont la fiabilité est indispensable à la mondialisation économique, sont fragilisées voire rompues. Les deux principales crises (Covid et guerre d’Ukraine) en annoncent et provoquent d’autres (inflation, pénuries). Non seulement la théorie du libre-échange s’avère incapable d’intégrer aux coûts des produits échangés leur impact écologique et sociaux, mais encore elle ne peut pas, non plus, anticiper les aléas de l’histoire, cette dernière n’étant aucunement achevée…

Se sentir maître de son destin, à l’échelon d’une personne, d’un foyer, d’une communauté et d’une nation, est une préoccupation humaine respectable et même naturelle.

On parle de "fragmentation" du monde, en constatant le repli sur soi et la réapparition des blocs et des nations. Ce retour est souvent stigmatisé comme une forme d’égoïsme ou de menace de récession. Mais les crises et leurs conséquences sont des signes des temps à ausculter : qu’en déduire de positif ? S’il s’agissait plutôt d’un retour du bon sens et de la subsidiarité ? Se sentir maître de son destin, à l’échelon d’une personne, d’un foyer, d’une communauté et d’une nation, est une préoccupation humaine respectable et même naturelle : c’est elle qui permet la responsabilité, point de départ de toute générosité véritable. Chaque pays n’a-t-il pas naturellement protégé ses habitants pour obtenir qu’ils soient pourvus en masques, en médicaments, en vaccins et maintenant en énergie ? Si un virus voyage vite, les précieux produits peuvent s’engluer dans des goulots d’étranglement, être monopolisés par les plus offrants, sans compter que monte la contestation de l’absurdité des longs transports infligés aux matières premières comme aux produits finis, à cause de leur impact sur l’environnement. 

Priorité à l’humanité

Rééquilibrage en vue : la mondialisation n’est plus le mantra incontestable. La préoccupation de l’autonomie alimentaire, sanitaire, et désormais énergétique, soudain requalifiée de "stratégique" par les pays souverains est revalorisée. Place à la consommation locale, aux circuits courts, à la réindustrialisation. Mais surtout, priorité à l’humanité ! Il y avait quelque chose d’absurde à glorifier l’autonomie de l’individu en fustigeant celle des communautés nationales dont il a besoin pour s’épanouir. 

Que ce Davos 2022 soit "déboussolé", et, à son tour, replié sur lui-même, est donc finalement à la fois logique et bienfaisant : il faut viser un nouveau cap, avec d’autres instruments d’évaluation et de gouvernance. La guerre d’Ukraine nous montre combien l’attachement à sa nation demeure précieux, voire salutaire, sans pour autant nier l’importance de la solidarité entre les nations, pour protéger — même indirectement, par la fourniture de matériel et d’armes — un pays agressé. La réhabilitation de la proximité plaide pour la sauvegarde de la biodiversité des sociétés humaines. Il était temps que la mondialisation triomphante subisse une cure d’humilité.

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