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Cinéma : “Evolution”, la difficile transmission de l’identité juive à travers l’Histoire

Image du film Evolution de Kornel Mundruczo et Kata Weber sorti le 18 mai 2022

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Louise Alméras - publié le 19/05/22
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Le couple de cinéastes hongrois, Kornel Mundruczo et Kata Weber, scrute dans "Evolution" la mémoire traumatique des Juifs dans un film original et magnifique. De la Shoah à aujourd’hui, ce film sous forme de triptyque retrace le cœur de la mémoire générationnelle. En salles le 18 mai.

Comprendre la mémoire traumatique des Juifs de la Shoah à aujourd’hui, c’est ce que le duo de cinéastes hongrois Kornel Mundruczo et Kata Weber, qui a déjà brillamment collaboré pour Pieces of a Woman et White dog, a voulu faire dans leur nouveau film "Evolution" en salles le 18 mai. C’est un voyage à travers l’Histoire, de 1945 à aujourd’hui, entre Budapest et Berlin. Une traversée, surtout, de la mémoire traumatique des victimes de la Shoah, dont Martin Scorsese en est producteur associé.

Le film se présente de manière originale, avec trois parties strictement distinctes, dont les deux premières sont quasi exclusivement un long plan séquence. La première séquence du film est de loin la meilleure, parce que la plus marquante et la plus cinématographique. Filmée avec brio par le directeur de la photographie français Yorick Le Saux, un plan séquence de 17 minutes nous plonge dans une sorte de cave, sous laquelle semblent reposer des cadavres, jusque derrière ses murs sales et inquiétants, et au milieu de laquelle se trouve une colonne d’air, donnant sur l’extérieur et le ciel enneigé. La chorégraphie de la caméra est impressionnante, à la fois agile, précise et vivante.

Trois hommes pénètrent là, munis de seaux et de brosses. L’un d’eux commence par asperger de l’eau partout — l’on croit à de l’essence pour y mettre le feu. L’on entend des bruits étranges, lointains. Puis ils frottent, en vain, murs et sol. Jusqu’à trouver des sortes de touffes de cheveux ici et là, cachées derrière les parois. Jusqu’à entendre le son des pleurs d’un enfant, qui semble surgir du sol, sous une grille. L’apparition de la vie au milieu de la mort? Il s’agit, en fait, d’une référence aux dizaines d’enfants retrouvés au moment de nettoyer les camps nazis. La scène suivante est remarquable, quand l’enfant, amené au dehors et entouré de soldats, est emmené loin de ce lieu. C’est une concentration de "l’essence poétique et surréaliste du traumatisme, indélébile, qui nous hante", comme le décrivent les réalisateurs. 

L’angle de vue choisi par les cinéastes (...) où la mémoire générationnelle fait office de traitement du sujet de la Shoah (...) apparaît plus efficace que les films de reconstitution ou d’immersion historiques.

L’histoire suivante se situe également en huis clos, au cœur d’un appartement, cette fois dans une séquence de 36 minutes, à laquelle s’ajoute une autre minute finale qui a nécessité une coupure. Une dame âgée, écrivain, reçoit la visite de sa fille à Budapest. Celle-ci vit à Berlin et a besoin de l’acte de naissance de sa grand-mère pour finaliser son dossier pour prouver qu’elle est juive, et obtenir plus facilement une place à la crèche pour son fils Jonas. Mais la grand-mère en avait plusieurs, tous faux. Une vive discussion s’enflamme autour de l’absurdité de prouver aux Allemands sa judéité, cruelle ironie de l’Histoire qui réveille l’enfance, terrible, de la mère. Née dans un camp de concentration, elle a subi le risque de la mort précoce, les moqueries des officiers, la famine, la misère et la honte. En somme, l’infamie. Tout ce que sa propre fille entend raconter depuis sa propre enfance et qu’elle subit, n’ayant jamais connu le bonheur, par devoir de mémoire. La scène est prenante et ne faiblit pas un instant, malgré sa longueur. Jusqu’au point d’orgue, autant que point final, où l’appartement est inondé. Le passé noyé permet de s’ouvrir à la vie. 

Evolution nous plonge davantage dans le traumatisme que dans la mémoire. Faisant entendre les pensées et les cris inaudibles de ceux qui le subissent et tentent d’en réchapper.

Enfin, la dernière histoire du film suit Jonas, devenu adolescent à Berlin, qui vit avec sa mère. Alors qu’il subit les moqueries dues à sa judéité, qu’il renie plutôt, son école a pris feu, semble-t-il à cause d’une lanterne que sa mère a fabriquée à sa place (qui sera une source de conflit entre eux). Cela lui permet de rencontrer une jeune fille et d’en tomber amoureux. La passion de Jonas pour les zombies et les monstres, dont il possède des masques pour s’en revêtir la face, est le symbole du traumatisme hérité, inconscient, qu’il rejette. Transmission de l’identité difficile, aussi. La mise en scène de cette séquence berlinoise et contemporaine est encore une fois très judicieuse, même si moins aboutie que les autres et peut-être moins frappante. Le jeu des acteurs est en tout cas excellent dans les trois.

L’angle de vue choisi par les cinéastes rappelle celui du film de Barbet Schroeder, Amnesia (2015), où la mémoire générationnelle fait office de traitement du sujet de la Shoah. Ce procédé, dans ces deux films, apparaît plus efficace que les films de reconstitution ou d’immersion historiques. Comme si le pas de côté permettait de mieux voir. Mais Evolution nous plonge davantage dans le traumatisme que dans la mémoire. Faisant entendre les pensées et les cris inaudibles de ceux qui le subissent et tentent d’en réchapper. Ce film est assurément une grande surprise cinématographique. Et pourtant tourné en seulement treize jours. Kornel Mundruczo et Kata Weber n’ont pas fini de nous surprendre. 

Evolution, de Kornel Mundruczo et Kata Weber, avec Lili Monori, Annamaria Lang et Goya Rego
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