Quand, au petit matin de la fin octobre 1886, le vicomte Charles de Foucauld, de retour de son exploration au Maroc, se retrouve face au confessionnal de l’abbé Henri Huvelin, à l’église Saint-Augustin, le prêtre est en pleine maturité de sa vie sacerdotale. À 48 ans — Charles en a 28 —, ce normalien agrégé d’histoire a une forte réputation. 400 à 600 personnes se pressent pour écouter ses conférences sur l’histoire de l’Église. Le curé lui a confié aussi les prédications du dimanche, reconnaissant un talent exceptionnel.
L’abbé n’est pas un tiède
Mais Henri Huvelin est aussi cet homme perclus de douleurs : il souffre de maux de tête presque permanents, il subit des crises de "goutte" de plus en plus éprouvantes. Cette santé fragile, il la doit sans doute aux excès de mortification et d’ascèse de sa jeunesse, lorsque son père, alors athée, s’opposait de toute ses forces à sa vocation ! Orphelin de mère à l’âge de 17 ans, seul face à un père intransigeant, il offre tout, pour sa vocation, et la conversion de son père. L’abbé Huvelin n’a pas le tempérament d’un tiède !
Son père se convertira en 1873, très marqué par le courant de dévotion au Sacré-Cœur qui parcourt toute la France (c’est l’époque de la construction de la Basilique de Montmartre). Dévotion commune avec son fils, qui sera partagée par le Frère Charles de Jésus. Décidément, en cette fin du XIXe siècle — songeons à la petite Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897) — la Providence commence à faire entrer l’Église dans le mystère de la Divine Miséricorde, en la sortant de la crise janséniste.
Un charisme de direction spirituelle
Nommé vicaire à Saint-Augustin en 1875, où il restera jusqu’à sa mort en 1910, l’abbé Huvelin développe un charisme particulier de direction spirituelle. Le mot employé alors doit être entendu dans une acception juste : il s’agit, pour l’abbé de l’exercice du discernement de la volonté de Dieu, qui ne peut se faire sans la liberté de celui qui veut l’accomplir. "Ce que le prêtre cherche dans une âme, dit-il, c’est l’espérance qui reste en elle et le besoin particulier que Dieu a creusé, le point où Dieu lui demande quelque chose…. Effectivement, il y a un travail souterrain de l’âme, une source cachée dont on ne peut saisir la direction, mais dont on voit la trace à travers une vie : et c’est ce que le prêtre regarde et cherche dans les âmes." Henri Huvelin peut être présenté à tous les prêtres comme un modèle d’accompagnement sans emprise et sans abus spirituel. Bien avisés sont les prêtres qui se tournent vers lui pour lui demander de leur partager un peu de ce charisme reçu.
Si l’abbé Huvelin avait exercé une quelconque emprise spirituelle sur ce jeune explorateur au tempérament indomptable, il n’y aurait pas eu Charles de Foucauld ! Le vicaire a écouté, mieux, il a su en toute vérité, exprimé son effroi devant l’excès des désirs d’absolu de l’ancien militaire, mais tout en apaisant son fils spirituel, il reconnaît, avec le temps, la volonté de Dieu. Il le confesse en 1900, à Marie de Bondy, l’autre soutien spirituel de Charles : "Un directeur a-t-il jamais dirigé qui que ce soit ? Mais je n’ai pas besoin de le conduire et je n’ai qu’à l’admirer et à l’aimer."
Il se consume pour les âmes
Au centre de la vie sacerdotale de l’abbé Huvelin, on trouvera ce qui pourra éclore dans la vie de Charles de Foucauld : l’amour du Christ présent dans le Saint-Sacrement, la méditation continuelle de l’Évangile, l’imitation du Christ pauvre : "Le Christ a tellement voulu la dernière place, que personne ne pourra la lui ravir." C’est l’amour qui guide toute la vie de ce prêtre, réputé comme le "saint curé d’Ars de Paris". Ses activités sont débordantes, et ne lui laissent pas de loisir. Il se consume pour les âmes. Si bien que les fruits sont là : conversion de son père, d’Émile Littré au soir de sa vie, du professeur de littérature à l’Université Jacques Demogeot… Et d’autres choses tout aussi belles, comme l’accompagnement des mères de familles : "C’est l’Esprit-Saint qui écrit la vie d’une mère chrétienne."
Plus on se tournera vers ce prêtre si mal connu, plus on découvrira une des grandes figures qui exprime ce grand mystère de la Miséricorde dans laquelle Dieu a voulu faire entrer son Église au XXe siècle. Au terme d’une vie entièrement donnée pour le salut des âmes, l’abbé Huvelin dira : "Je n’aimerai jamais assez… on vaut par ce qu’on aime", affirmation reprise par Charles de Foucauld le 1er décembre 1916 : "Comme c’est vrai, on n’aimera jamais assez. Mais le bon Dieu, qui sait de quelle boue Il nous a pétrie et qui nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant, nous a dit, Lui qui ne ment pas, qu’Il ne repousserait pas celui qui vient à Lui."
Amoureux de la vie cachée
Nous ne possédons qu’une photo, de bien piètre qualité, de cette figure hors-normes, signe de sa discrétion, de son amour de la vie cachée, qu’il a su transmettre à saint Charles de Foucauld. Vie cachée qui n’est pas "enfouissement" comme celui qui enfouit son seul talent par peur du jugement du Maître, mais imitation de la vie de Nazareth, qui est évangile du travail, de la prière, de la charité, qui en font encore un modèle pour les prêtres d’aujourd’hui.