Nous voici repartis pour un nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron. Certes, sa réélection, au regard du premier tour, des abstentions et des votes blancs, est loin d’être écrasante, elle ne peut être comprise ou vécue comme une validation — a posteriori — de son action passée. Heureusement, car, sur les questions bioéthiques, son gouvernement laisse derrière lui un champ de ruines. Les défis à venir — infertilité, soumission de la vie aux biotechnologies, modification du génome, marchandisation du vivant, artificialisation de la procréation… — sont colossaux, pourtant ils sont restés les grands absents de tous les débats. Seule la fin de vie a émergé pendant la campagne, avec une nouvelle secousse dès le lendemain du premier tour.
Une « convention citoyenne »
L’enjeu pour Emmanuel Macron ? Récupérer des voix de Jean-Luc Mélenchon. Une des solutions ? Brandir l’étendard d’un "droit de mourir dans la dignité", slogan embobelineur au possible, agité par l’association militante du même nom. C’est Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, qui s’y est collé, le pronostiquant comme "la grande réforme de société" de ce second round présidentiel. Le locataire de l’Élysée s’était fait discret, ou flou, sur son positionnement pendant cinq ans. Mais à l’approche de la présidentielle, il a d’abord dit qu’il envisagerait une convention citoyenne sur la fin de vie. Puis il s’est déclaré "favorable", "à titre personnel" — mais on connaît le poids d’une telle parole publique, fut-elle "personnelle", qui reste prononcée depuis le sommet de l’État — à ce que la France "évolue" vers ce qui est tout sauf un modèle : le système belge. Autrement dit, à légaliser l’euthanasie.
Cette idée de convention divise, il suffit de lire les multiples boucliers qui se sont levés à son annonce. Elle ne convainc pas les connaisseurs de la question. Cette convention est un vrai danger, pour Alliance VITA : "Chaque fois que l’interdit de tuer est remis en débat, des personnes en souffrance psychique demandent “d’en finir”. La société doit absolument sécuriser le message qu’elle leur adresse : la prévention du suicide ne souffre pas d’exception. Aucun citoyen n’est indigne de vivre et d’être soigné ; aucune maladie ne rend “éligible à l’euthanasie”. Au contraire, les plus éprouvés doivent être les plus soutenus, accompagnés dignement jusqu’au terme de leur vie". Pour Erwan Le Morhedec, auteur de Fin de vie en République (Cerf, 2022), "ce ne sont que des habiletés politiques". Elle inspire aussi de la méfiance à Henri de Soos, auteur de L’Impasse de l’euthanasie (Salvator, 2022) : "Si elle doit avoir lieu, il faudra être extrêmement vigilant, d’une part sur le recrutement des participants, d’autre part sur la façon dont elle fonctionnera". Vent debout aussi, le philosophe Damien le Guay, auteur de Quand l'euthanasie sera là... (Salvator, 2022) : "Il y a là une inconséquence manifeste — pour ne pas dire un “en même temps” tragique quand il s'agit de trancher une question de civilisation. […] De toute évidence, ce sujet demande à ceux qui l'abordent une maturité suffisante pour bien l'envisager, un travail de longue haleine pour en saisir toute la complexité, des visites nombreuses dans les unités de soins palliatifs, des auditions approfondies. Tout cela sera-t-il possible dans le cadre de cette convention ? J'en doute".
Le consensus par la peur
C’est à se demander si Emmanuel Macron ne verrait pas les conventions citoyennes comme un moyen perlimpinpin pour "construire un consensus", selon son expression. Et quand bien même il existerait, ce consensus… Quand une foule lève le poing, réclamant un nouveau droit ou l’exécution de quelqu’un, le "consensus" assourdissant en ferait-il derechef une revendication juste ? Un "consensus" sur la fin de vie, n’est-ce pas une forme de piège ? Sur un sujet aussi sensible que l’euthanasie, l’unanimité ne peut que relever du mensonge forcé.
Sur ces sujets bioéthiques, on voit bien les rouages à l’œuvre. Ce sont toujours les mêmes ingrédients : faire peur. Ici, laisser croire que la société ne nous laissera qu’une seule alternative : souffrir indéfiniment ou bénéficier d’une euthanasie ou d’un suicide assisté. Endormir l’opinion publique avec une flopée de séries, films, "people" militants, de cas limites et situations douloureuses qui interdisent toute approche nuancée. Saupoudrer de faux slogans, de prétendue dernière liberté à conquérir. Puis rassurer à feu doux : c’est un nouveau droit qui n’enlève rien à personne… (rien ? rien de moins que la vie). Après l’avoir bien préparé, eh bien ! "la société est prête"… Alors, comme l’assumait le Comité d’éthique dans son avis rendu après ce qui peut s’assimiler à une convention citoyenne, à savoir le simulacre des États généraux de la bioéthique, il faut que la "loi intègre le désir de répondre aux demandes de la société"…
En réalité, ce travail souterrain semble préparé de longue date. Or la prise en charge de la fin de vie est un sujet social et humanitaire de premier plan, des progrès sont encore attendus et espérés. Ils devraient être la priorité du prochain gouvernement : par exemple, les moyens alloués aux soins palliatifs, à la formation des soignants, à l’accompagnement de la fin de vie en respectant la personne dans toutes ses dimensions, la loi grand âge à finaliser, la lutte contre la solitude, la promotion d’initiatives solidaires et plus que tout : la prévention du drame du suicide. Ces voies, seul le refus absolu de l’euthanasie peut permettre de les développer pour (sauve)garder à notre société un visage humain.