Comment ne pas l’oublier dans l’un de ses rôles majeurs, dans Le Crabe-Tambour, de Pierre Schoendoerffer ? Jacques Perrin y tenait le rôle-titre, le lieutenant de vaisseau Willsdorff, surnommé le "Crabe-Tambour". Reprenant le passage biblique du livre de l’Ecclésiaste, il donnait cette réplique : "Il y a un temps pour tout. Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir. Un temps pour planter, et un temps pour arracher les plants. (…) Un temps pour pleurer, un temps pour rire, un temps pour gémir, un temps pour lancer des pierres, et un temps pour en ramasser." Comment ne pas lui rendre hommage en citant ces mots qui résument si bien sa carrière, lui qui était à la fois passionné et emprunt de sagesse.
Assez pour avoir relevé le défi de produire des films hors des sentiers battus, des films pour élever nos regards, émouvoir, revenir à l’essentiel. Et il en restait humble. On lui doit les documentaires Microcosmos : Le Peuple de l’herbe (1996), qui est un franc succès à sa sortie et lui vaut le César du meilleur producteur ; Himalaya : L’Enfance d’un chef (1999), Le Peuple migrateur (2001), auquel il participe à la réalisation, ou encore Tabarly (2008). Mais avant cela, avant cette belle casquette de producteur, il y a plus de soixante années de carrière sur les planches et les plateaux de tournage. Car Jacques Perrin n’a jamais consacré sa vie qu’à la scène et au 7e art, depuis l’âge de 15 ans. Un sacerdoce qu’il a su rendre noble.
De Zurlini aux Choristes, la marque de l’innocence
"Le cinéma précise le regard qu’on a sur les choses. Il permet d’avoir un deuxième regard sur la société, les sociétés, dans lesquelles nous vivons. Le cinéma est également une arme qui a beaucoup de force. Il frappe directement le cœur, les émotions. Et il laisse une trace indélébile. J’aime cette arme faite de sincérité, de talent, de regard et pas forcément de discours magistral", déclare-t-il lors de la rétrospective de son œuvre organisée en 2011 à la Cinémathèque française, l’année même où il reçoit le César du meilleur film documentaire pour Océans en tant que réalisateur.
Il est des multitudes de regards au cinéma, pas toujours édifiants pour le public. Le sien était plutôt celui de l’innocence. Grâce à laquelle il touchait le cœur avec respect. Sa responsabilité a toujours été là, semble-t-il. Jamais dans la violence ou la fureur, mais dans la fragilité désarmante de l’innocence, qui ne manque pas de force. Ses rôles en attestent autant que ses films produits. De La fille à la valise (1960) de Valerio Zurlini, où il tente avec candeur de sauver une jeune fille, à La 317e Section (1965), de Pierre Schoendoerffer, dans lequel il campe un lieutenant démuni face aux responsabilités, en passant par Les Choristes (2004) de Christophe Barratier, qu’il produit et dans lequel il joue Pierre Morhange adulte, enchantant des milliers de Français, ou encore Z (1968), de Costa-Gavras, film engagé qu’il produit en plus d’y tenir un petit rôle.
Son jeu d’acteur se distinguait par son extrême simplicité couplée à une grande envergure. Le tout donnait la pesanteur du rôle avec la discrétion de l’acteur humble, la marque des plus grands : savoir s’effacer pour être plus présent, que le personnage seul soit là. Comme il l’a fait en portant aux nues la nature dans ses documentaires, lui n’étant jamais là à l’écran. Des films tels qu’on s’en souvient encore des années après. Jacques Perrin laisse son précieux regard sur les choses et le monde. Et comme il y a un temps pour tout, à nous, maintenant, de croiser son regard pour éclairer nos vies.