Le Fr. Renaud Silly o.p. est docteur en théologie et collaborateur de l’École biblique de Jérusalem. Il a dirigé chez Bouquins le Dictionnaire Jésus, paru en avril 2021, une somme qui vise à donner une présentation cohérente et resituée dans son contexte de la vie de Jésus de Nazareth, en s’appuyant sur les derniers acquis de la recherche internationale. Invité récemment par l’Institut thomiste de Paris, il a montré cette cohérence entre le contenu de la foi chrétienne et les recherches scientifiques actuelles.
Aleteia : La réalité de la résurrection du Christ est pour certains un objet de foi mais pas une réalité "factuelle" ; il faudrait distinguer le "Jésus de l’histoire" et le "Christ de la foi". Pouvez-vous expliquer cette distinction ?
Fr. Renaud Silly : L’histoire s’est spécialisée au XIXe siècle comme science de la vérification des faits passés. Jésus étant un personnage historique, vint un jour où on souhaita avoir de lui une vision "scientifique". On ouvrait ainsi la voie à une reconstitution vraisemblable de son existence terrestre, excluant la foi des croyants accusée de véhiculer des anachronismes. Dans ce partage des tâches, il revenait à la science le privilège de décrire un Jésus de l’histoire supposé réel, et à la foi d’imaginer un Christ idéal, produit de spéculations intellectuelles de haut vol. Dans la cartographie hégélienne de ses concepteurs, cette séparation ménageait deux types de connaissance, l’une scientifique et l’autre religieuse, qui se chevauchent sans se recouper. Le "Christ" auquel on croit n’appartiendrait pas à l’histoire. "Jésus" ne pourrait non plus être objet de foi. Cette séparation est ruineuse et inacceptable, non seulement pour la foi chrétienne, mais même du point de vue de l’histoire : la confession chrétienne procède par toutes ses fibres des paroles et des actes de Jésus, soumis à un lent travail de maturation et d’explication.
Les premiers témoins de la résurrection sont des femmes et non les apôtres qui commencèrent par douter.
Que penser de l’argumentation de ceux qui voient dans la résurrection du Christ une construction des apôtres ?
Les premiers témoins de la résurrection sont des femmes et non les apôtres qui commencèrent par douter. En bonne méthode, on doit leur faire confiance d’abord à elles. Or elles ne livrent justement aucune construction spéculative, mais la proclamation de ce qu’elles ont vu. Il y a beaucoup de misogynie inavouée à ne prendre au sérieux que le témoignage des apôtres, qui ne nous cachent pas la difficulté avec laquelle ils accueillirent l’annonce des femmes ! Songeons aussi à saint Thomas ! Dans les récits de résurrection, tout est concret, précis. Rien qui suggère une construction abstraite.
Quels éléments, dans les évangiles notamment, appuient le fait que la personne historique de Jésus est réellement ressuscitée ?
Il n’y a pas de description plus rigoureuse et objective que la découverte du tombeau vide par Pierre et Jean, telle que ce dernier la rapporte : les linges qui avaient contenu le corps de Jésus sont en place, sans avoir été défaits — cela se serait vu — et pourtant, il n’y est plus ! Remarquable dans le récit est son extrême retenue. L’Apôtre n’offre aucune explication, mais laisse le lecteur utiliser son intelligence pour comprendre. Proclamer Jésus ressuscité n’est pas une échappatoire facile !
La résurrection de Jésus n’est pas seulement survie par-delà la mort, mais avènement d’une nouvelle création, qui ne connaît pas les limites de celle-ci.
Quelle est la différence entre la résurrection du Christ et les autres résurrections que l’on rencontre dans la Bible avant le jugement dernier ?
La sienne est définitive, pas celle de Lazare ou de la fille de Jaïre. Leur corps a été revivifié, sans prendre la forme glorieuse qui caractérise celui de Jésus. Sa résurrection est aussi la récompense de ses mérites, puisqu’il est resté fidèle à son Père lors des épreuves de la Passion. Aussi Dieu lui a dit "siège à ma droite" (Ps 109) et l’a "élevé au-dessus de tout nom" (Ph 2,10). La résurrection de Jésus n’est pas seulement survie par-delà la mort, mais avènement d’une nouvelle création, qui ne connaît pas les limites de celle-ci (mort, péché).
Peut-on dire que la résurrection du Christ est démontrable rationnellement ?
En tant qu’elle dépasse notre monde et en fait advenir un nouveau, non, car elle est un mystère de foi. En revanche, laissant des traces en ce monde, elle est un événement historique, donc démontrable : les témoins qui la rapportent sont fiables ; elle avait été annoncée par Jésus ; elle est conforme au plan de Dieu ; les œuvres des apôtres ne s’expliquent que si la proclamation de Jésus ressuscité est vraie. Elle offre toutes les garanties d’une vérité historiquement démontrable ! Mais ces preuves ne sont pas mathématiques.
Comment, en quelques mots, résumez-vous l’importance de la résurrection du Christ pour l’histoire humaine, pour notre destinée ?
Elle enseigne que l’histoire humaine n’est pas celle des déterminismes à l’œuvre dans la politique, l’économie, l’histoire ou la pensée. Le Christ ressuscité a mérité de devenir le juge des vivants et des morts, et il demandera à chacun compte de ses œuvres. "L’histoire générale" devient "Seigneurie universelle du Christ", étendue à tous les âges. Par elle, notre temps vécu touche un peu à l’éternité. La résurrection de Jésus inaugure le temps de notre propre Pâque.
Propos recueillis par Marine Guerbet