Résurrections est un essai philosophique sur le concept de résurrection, qui montre comment la métaphysique chrétienne est d’un grand secours dans les drames de la vie : deuil, dépression, rupture amoureuse… Le travail de Denis Moreau se présente de manière très incarnée. Chez lui, la foi dans la résurrection n’est pas seulement une connaissance ou une espérance, elle est "performante". C’est un remède pratique pour nous relever après les chutes que la vie nous réserve.
Aleteia : Vous présentez votre livre comme un "manuel de survie" pour traverser les épreuves de la vie de façon chrétienne. En quoi la foi dans la résurrection du Christ peut-elle contribuer à transformer nos vies en succession de petites résurrections, ou ce que vous appelez des "situations résurrectionnelles" ?
Denis Moreau : On peut repartir des Évangiles. Dans nos Bibles en français, on traduit par "ressusciter" deux verbe grecs, anistanai et egerein. Le premier veut dire "relever", le second "réveiller". Appliqué à Jésus, cela signifie qu’alors qu’il était tombé aussi bas que possible et dans la plus grande torpeur possible (il était mort), il s’en est relevé et réveillé. Avoir foi dans la Résurrection de Jésus, c’est croire qu’il n’est pas seulement ressuscité, un jour du passé en un lieu précis, mais aussi ressuscitant, c’est-à-dire que la puissance mise en œuvre lors de sa résurrection nous rejoint aujourd’hui, dans nos vies : elle peut nous aider à nous relever lorsque nous sommes à terre, abattus, terrassés par les catastrophes existentielles qui nous frappent, elle peut nous aider à nous réveiller dans toutes les situations de sommeil, d’engourdissement, d’atonie que nous connaissons.
Croire dans la résurrection du Christ, c’est croire dans le récit d’un événement extraordinaire qui peut se reproduire dans sa vie ordinaire. Quelles sont les caractéristiques de cet événement ?
Il y en a plusieurs, j’ai essayé de les préciser dans mon livre. Si je devais n’en retenir qu’une, je dirais que cet événement nous apprend que quel que soit le malheur qui nous frappe, il ne faut jamais se dire "cette fois, c’est foutu, c’est mort". C’est ce qu’ont dû se dire les disciples le Vendredi saint à 15h au pied de la croix. Et puis l’impensable s’est produit, une issue, et une belle, s’est dessinée dans cette nuit. Ce grand récit dramatique des trois jours, de la déréliction absolue du vendredi à la magnifique surprise du dimanche matin, véhicule un potentiel d’espérance qui peut nous aider à ne pas capituler dans les nuits existentielles que nous traversons.
Le cri du chrétien, celui qui peut enclencher un processus de résurrection dans nos vies, c’est "sauvez-moi, je péris".
Une autre leçon de la Résurrection de Jésus, c’est qu’on ne se sauve pas tout seul, par ses propres forces. Lorsque Jésus est en croix, on lui lance un défi, "sauve-toi toi-même" qu’il ne relève pas. Jésus comme homme ne se ressuscite pas lui-même, il est ressuscité, par la puissance du Père. "Sauve-toi toi-même", c’est une des injonctions de notre modernité, cette idée que nous devons toujours être des supermen capables de nous tirer de nos détresses par nos propres forces. Nous n’y arrivons évidemment pas, et c’est absolument épuisant — ce n’est pas pour rien s’il y a tant de burn out. Le christianisme fait entendre une autre petite musique, il dit que la sagesse consiste parfois à reconnaître nos faiblesses, et à savoir demander de l’aide, celle de Dieu, celle des autres, celle de Dieu se déployant par l’intermédiaire de celle des autres. Le cri du chrétien, celui qui peut enclencher un processus de résurrection dans nos vies, c’est "sauvez-moi, je péris".
Parmi les grandes épreuves de la vie que la résurrection de Jésus peut transformer, vous citez le deuil, la dépression, les graves crises conjugales, le pardon. Parlons du deuil. Vous dites que la foi dans la résurrection n’élimine pas la souffrance, mais "l’admet" au contraire avec une grande humanité. En quoi le temps du deuil vécu chrétiennement apporte l’apaisement ?
Bien sûr, la foi en la résurrection ne supprime pas la souffrance d’avoir perdu ceux que nous aimons : dans ses Confessions, le grand saint Augustin, qu’on ne peut pas soupçonner d’avoir manqué de foi, a écrit une page magnifique sur l’immense douleur que lui a causé la mort de sa mère. Et de façon plus générale, si le christianisme était une sorte de recette miracle pour échapper vite fait bien fait à toutes les souffrances que nous réserve l’existence, cela se saurait et tout le monde se convertirait sur le champ ! Donc, évidemment, ce n’est pas ainsi que cela marche.
Quand je suis malade, je me soigne, quand je suis triste, j’ai besoin d’être consolé. Ma foi soigne les maladies de mon âme, m’aide à combattre les tristesses de la vie.
Mais dans le cas du deuil, croire que la résurrection de Jésus annonce notre propre résurrection détermine une façon particulière de vivre cette épreuve. J’ai une amie athée qui a, comme moi, perdu son père. Nous avons parlé de nos deuils respectifs, nous ne les avons pas vécus de la même manière. Mon amie athée pense que son père a définitivement versé dans le néant, qu’entre elle et lui c’est fini pour toujours. Je crois que mon père a accédé à la plénitude d’une existence accomplie, et qu’un jour nous nous reverrons. C’est différent. Et puisque je suis chrétien, je crois que cette différence est un mieux. Ma foi m’a consolé, aidé à reprendre goût à la vie. Plus largement, j’ai toujours un peu de mal à comprendre les auteurs (Marx, Nietzsche) qui critiquent cette fonction consolatrice, ou thérapeutique, de la foi chrétienne. Quand je suis malade, je me soigne, quand je suis triste, j’ai besoin d’être consolé. Ma foi soigne les maladies de mon âme, m’aide à combattre les tristesses de la vie. En quoi est-ce un problème ?
Et la dépression ? C’est peut-être le mal du siècle, et pourtant vous montrez que la prière des psaumes en offre la description la plus exacte, comme ce verset du psaume 141 : "Que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi." Comment le Christ ressuscité peut-il être ressuscitant pour le dépressif, et l’aider à "traverser les ravins de la mort" ?
Il ne faut parler qu’avec les plus grandes pudeur et délicatesse de cette épreuve terrible qu’est la dépression. Ce sont des tourments indicibles, ceux qui les ont vécus savent que c’est atroce, et il serait parfaitement indécent de leur faire la leçon ou de laisser croire qu’on s’en sort facilement, juste en se "prenant en main" ou se "secouant un peu". Une des difficultés dans cette épreuve, c’est la difficulté à en parler, à trouver "les mots pour le dire", que ce soit à soi ou aux autres. Les Psaumes fournissent quelques descriptions saisissantes d’états dépressifs, et c’est déjà un premier petit pas vers le relèvement que d’arriver à verbaliser avec leur aide ce qui nous arrive. Après, je ne suis surtout pas en train de vous expliquer que la dépression se soigne uniquement à coups de psaumes. "La tristesse naturelle a plus besoin de médecins que de théologiens" écrivait saint François de Sales, et la dépression se soigne donc aussi en consultant un psy et prenant des médicaments. Mais comme pour le deuil, vivre cette épreuve avec la foi en la résurrection, dans l’espérance d’une issue possible, accompagné par les psaumes, en acceptant de se faire aider et en s’adressant à Dieu, change un peu les choses par rapport aux personnes qui n’ont recours qu’au psy et aux médicaments. Dans cette modification, parfois imperceptible à vue humaine mais je crois bien réelle, je vois le travail de la grâce à l’œuvre, la puissance de résurrection de Dieu se déployant de façon souvent discrète, mais efficace, dans l’humble tissu des phénomènes du monde. La grâce ne supprime pas la nature, elle la perfectionne.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain