La vie d’un chrétien, la vie d’un moine, s’apparente à une marche dans une forêt tropicale, à la recherche de l’eau vive d’un fleuve hypothétique. On vous en a parlé, de ce fleuve, vous ne l’avez jamais vu. Vous marchez en groupe, car on n’est jamais seul dans la marche vers le salut. Le soleil tape et si le sol est couvert de graines qui germeront à la première pluie, celle-ci est encore loin. Quelques arbres donnent de l’ombre et vous vous demandez où ils vont chercher l’eau qui leur permet de vivre. Vous suivez un guide qui semble connaître la route, mais celui-ci s’égare, retrouve son chemin, le perd de nouveau. Un vallon dresse un obstacle devant vous. Pas de choix… Il faut dévaler la pente, au risque de perdre l’équilibre, et remonter ensuite en vous accrochant à la pauvre végétation qui a poussé là. Que trouvez-vous de l’autre côté ? Le même sol sec, les mêmes arbres, le même soleil. Pourtant, vous voulez trouver le fleuve, vous avez soif de son eau. Vous ne renoncerez à aucun prix.
Accepter d’avoir soif
Cette marche vers la vie éternelle, comment lui assurer des chances de réussir ? Comment l’engager pour que la lassitude ne l’égare pas ? L’alléluia pascal que nous rêvons de chanter en touchant les rives de ce fleuve, comment l’entonner dès aujourd’hui de tout cœur ? Nous pourrions nous rappeler que "la nature, c’est déjà la grâce", déterrer un arbre et examiner sa racine. Comment fait-il pour boire dans le désert ? Ses racines ne sont pas en surface, où il n’y a rien à boire, mais elles s’enfoncent verticalement dans le sol. Elles s’y sont enfoncées à force d’avoir soif. Il y a toujours de l’eau en profondeur.
Dans le désert, accepter d’avoir soif, non pas un seul jour mais à longueur de jour, permet à notre être de s’adapter en plongeant ses racines jusqu’à la nappe cachée à nos yeux.
Dans le désert, accepter d’avoir soif, non pas un seul jour mais à longueur de jour, permet à notre être de nature et de grâce de s’adapter en plongeant ses racines jusqu’à la nappe cachée à nos yeux. En contemplant la beauté de l’arbre et sa vigueur, on ne voit ni la nappe d’eau nourrissante, ni même la racine qui s’enfonce dans le sol : on voit son feuillage ; on voit qu’il est vivant dans le désert.
Dans le désert, et nulle part ailleurs
Toute vie chrétienne un peu fervente commence par un désir : voir le fleuve. Elles se poursuivent toujours et immanquablement par une traversée du désert. C’est dans le désert et nulle part ailleurs que le peuple d’Israël est devenu familier de son Dieu, C’est dans le désert et nulle part ailleurs que le Christ se retirait pour prier son Père. C’est dans le désert et nulle part ailleurs que notre foi atteindra sa maturité. Ensuite, que le soleil se cache ou qu’il tape, qu’il pleuve ou qu’il vente, rien ne pourra nous détourner de notre dessein.
À force de chercher le fleuve, un jour vient où chacun devient capable de percevoir, dans le désert, la présence de celui qu’il cherche. Le percevoir sous la chaleur puisqu’il est le Créateur, le percevoir dans la marche puisqu’il nous attire, le percevoir également dans notre fidélité, puisqu’il est, bien sûr, au bord du fleuve où il nous attend, mais déjà dans le désert où il nous donne de persévérer. Colonne de nuée le jour, colonne de feu la nuit (Ex 13, 22).
L’espérance de notre résurrection
Aussi vive que soit les lumières de la foi en la résurrection, un chrétien se trouve, aussi devant la perspective de sa propre mort, aussi démuni que quiconque. Saint Grégoire le Grand († 604) reprend les craintes naturelles qui nous habitent et les raisonne. C’est vrai, dit-il, que la décomposition du corps humain après la mort biologique conduit à douter de la possibilité d’une résurrection. Mais la nature ne dément-elle pas ce doute ? Le jour qui succède à la nuit, le printemps qui balaie les froidures de l’hiver et la plante qui sort de terre sont susceptibles de nous aider à croire en notre résurrection. "L’espérance de notre résurrection devrait s’imposer à notre regard", écrit-il. Est-ce bien vrai ? Le problème reste entier. Nous avons soif d’une promesse : "Si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera pas la mort pour l’éternité" (Jn 8, 52).