La semaine passée, dans une conférence à l’Université catholique de Lille, le cardinal Joseph De Kesel soulignait l’éminente dimension politique de la foi chrétienne. Les disciples de Jésus, insistait-il, ne peuvent pas vivre leur religion en étant indifférents à l’actualité politique ; ils ne peuvent pas croire « sous globe », en dehors du monde où ils sont nés et vivent. L’expression de la foi dans la sphère publique, qui fait l’objet de débats dans nos sociétés pluralistes, est constitutive de la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu incarné. Ce témoignage chrétien s’effectue par l’engagement politique ou simplement par la participation à la vie civique de son pays. Cette citoyenneté terrestre ne concurrence pas la citoyenneté céleste, mais elle l’anticipe en pavant la vie de la cité d‘actes de charité. Cette responsabilité politique assumée, pour reprendre la célèbre métaphore de Rabelais, est « la substantifique moelle » de la foi de l’Église qu’elle a formalisée dans sa doctrine sociale.
La forme la plus haute de la charité
Ce rappel de l’archevêque de Malines-Bruxelles est doublement significatif. D’abord parce qu’il provenait d’un citoyen belge, dans le pays duquel on ne badine pas avec le droit de vote, celui-ci étant obligatoire. Ensuite, parce qu’il s’adressait à un auditoire français qui s’apprête à voter dans un contexte qu’on annonce marqué par une forte abstention. En France, voter est un droit facultatif. Chez d’autres voisins européens (Luxembourg, Danemark, Grèce, Chypre, etc.) il est obligatoire et l’abstention sans motif valable est, en Belgique, passible d’amendes. Voter ou pas est en revanche dans notre Hexagone une affaire de liberté personnelle et de conscience privée.
L’Église catholique s’est toujours montrée sévère avec l’abstentionnisme, jusqu’à le considérer, non pas comme un péché, mais comme une faute grave.
L’Église catholique s’est toujours montrée sévère avec l’abstentionnisme, jusqu’à le considérer, non pas comme un péché, mais comme une faute grave. L’aumônier des parlementaires mettait ainsi en garde, en 2021, les électeurs catholiques tentés de s’abstenir aux élections régionales et départementales : « Je leur dirai, avec fermeté, que c’est une faute, au regard de l’Évangile, de ne pas exercer sa responsabilité politique : cela revient à démissionner d’une responsabilité par rapport à l’humanité. Pour répéter ce mot, repris par plusieurs papes, 'la politique est la forme la plus haute de la charité' ». Mais est-ce suffisant pour convaincre un catholique d’aller voter ?
Une liberté qui n’a pas de prix
L’argument le plus efficace, le plus percutant ne le trouve-t-on pas dans l’Évangile ? L’esprit persuasif de Jésus y fait merveille. Sans jamais blesser ou culpabiliser, il pousse ses interlocuteurs à s’interroger sur leur vocation profonde : Fais-tu ta volonté ou celle de ton Père du Ciel ? Prends-tu soin de toi ou de ton frère sur la terre ? Jésus laisse toujours libre. Mais pas sans rappeler le prix de cette liberté : l’amour de Dieu et du prochain. Ce faisant il parie toujours sur l’intelligence humaine. Il la parodie, non sans humour, et s’enthousiasme quand elle se convertit en acte de charité. Ainsi du fils du vigneron qui, après avoir dit non à son père, finit par lui obéir et va travailler à la vigne ! (Mt 21, 28-32.) Il ressemble à l’abstentionniste râleur et désabusé qui boude l’isoloir pour manifester son indifférence ou sa protestation. Cet évangile nous indique qu’il peut changer d’idée. Si nous savons, comme Jésus, lui parler avec tact. Si nous lui présentons le droit de vote comme une liberté qui n’a pas de prix. Si ce n’est celui de la charité dont la politique est la forme la plus haute !