Le cycle ouvert en 1991, marqué par l’hyperpuissance américaine et la domination de l’Occident, est désormais terminé. La guerre en Ukraine a dévoilé la réalité du monde d’aujourd'hui structuré par la fin du monopole de la puissance américaine, la naissance de nouveaux empires et l’émiettement du monde. Dans les cinq ans qui viennent, la politique étrangère de la France devra répondre à ces nouveautés.
Fin du monopole de la puissance : être un facilitateur
Seul l’Occident a imposé des sanctions économiques à la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Ce fait illustre la fin du monopole de la puissance : l’Occident ne peut plus imposer ses règles et ses décisions au reste du monde. La Chine bâtit un système financier concurrent et a accéléré le chemin vers la fin du monopole du dollar. En Afrique et en Amérique latine, les pays regardent désormais vers l’Asie et plus seulement vers les États-Unis et l’Europe.
Tout en étant dans le camp occidental, la France devra être capable de parler aux nouveaux empires naissants.
Dans cette puissance multipolaire actée, le rôle de la France est d’être un pivot et un point d’appui non pour imposer une idée, mais pour jouer le rôle de négociateur et de facilitateur. Tout en étant dans le camp occidental, elle devra être capable de parler aux nouveaux empires naissants. D’où la question prochaine de la réintégration de la Russie dans la "maison commune européenne". Que notre voisin nous plaise ou ne nous plaise pas, il est notre voisin. Après la guerre en Ukraine, il faudra trouver le moyen de maintenir le contact avec la Russie et d’empêcher son basculement total vers la Chine. Une alliance Pékin/Moscou serait dramatique pour les intérêts des Européens.
Dans ce rôle de facilitateur et de négociateur, d’autres dossiers d’importance attendent la France. Le nucléaire en Iran, la question du Sahel, les affrontements entre le Maroc et l’Algérie, l’enjeu crucial de la zone Pacifique. La France ayant des territoires sur l’ensemble des continents, elle est de fait partie prenante de chacun des grands dossiers du monde. C’est ce rôle particulier qu’il lui faut continuer à jouer, en ne regardant pas uniquement vers l’Afrique de l’Ouest, mais aussi vers l’océan Indien et l’Amérique latine.
Naissance des nouveaux empires : être un point d’équilibre
La Russie rêve de son empire perdu, la Chine rêve de son empire retrouvé, les islamistes rêvent de leur empire utopique. L’idée d’État-nation n’est plus à la mode. Le monde actuel est traversé par deux phénomènes qui ont parties liée : le réveil des régionalismes et le réveil des empires. La Russie, pays fragile, risque de laisser ses rêves en Ukraine. La Chine en revanche continue d’avancer et, après Hong Kong, se verrait bien prendre Taïwan. Quant aux islamistes, bien que multiples et traversés par de nombreux courants, ils n’ont pas renoncé à leur rêve de califat. Ici, le rôle de la France est d’être un point d’équilibre, à la fois pour borner les expansions impériales, pour défendre les peuples et les pays qui pourraient en subir les frais et pour veiller au maintien de la paix là où la guerre menace. Un rôle d’équilibre qui doit reposer sur la diplomatie et sur la confiance que chacun des acteurs peut avoir en la France.
Émiettement du monde : être un agrégateur
L’émiettement du monde est marqué par la poussée des mouvements indigénistes qui rejettent la culture occidentale et qui épousent des cultures locales refabriquées. Il est caractérisé aussi par l’effondrement des États, gangrenés par les mafias et les réseaux criminels. C’est vrai en Afrique, qui retrouve en grande partie les structures politiques précoloniales, c’est vrai aussi en Amérique latine où les systèmes criminels prennent le dessus sur les États, comme au Mexique et en Bolivie. Parce que la France porte des idées et des valeurs universelles, elle peut jouer un rôle d’agrégateur en montrant que l’enfermement sur le local et sur les cultures rabougries n’est pas la seule alternative à la mondialisation et à la renaissance des empires. La littérature et la culture ont ici leur rôle essentiel, ce qui passe par leur diffusion parmi les élites dirigeantes.
Pas de puissance à l’extérieur sans ordre à l’intérieur
Mais la France ne peut avoir de rôle décisif sur la scène mondiale si elle n’est pas puissante sur la scène intérieure. La puissance économique et culturelle est essentielle pour compter au-delà de ses frontières. On ne peut pas être respecté sans armée importante et moderne, ce qui suppose un grand effort financier. Former les élites mondiales passe par l’animation et le développement d’écoles françaises à l’étranger et d’universités et de grandes écoles qui attirent et qui forment réellement. Le rôle mondial de la France ne passe donc pas uniquement par la diplomatie, mais aussi par la puissance militaire, économique, financière et éducative. Ce sujet ne peut donc pas être isolé ; il est un tout et l’aboutissement aussi des indispensables réformes intérieures.