Le handicap, une "priorité" politique ? C’était la promesse faite par Emmanuel Macron lors du débat d’entre deux tours en 2017. Cinq ans plus tard, on pourrait discuter du bilan de la politique menée par la secrétaire d’État Sophie Cluzel, mais l’on peut surtout constater que la thématique est bien peu présente dans le débat électoral actuel — hormis la polémique fin janvier, lorsqu’un candidat a lancé un pavé dans la mare en dénonçant l’"obsession de l’inclusion" des personnes handicapées dans l’école ordinaire. La formule a suscité l’indignation plus au moins authentique de l’intégralité de la classe politique.
La politique du handicap a ceci de caractéristique qu’elle suscite à la fois le consensus — les grandes lois sur le handicap, comme celle du 11 février 2005, n’ont pas suscité de vrai clivage, et bien malin sera celui qui définirait la distinction droite/gauche en matière de politique du handicap — et une forte indifférence, dès lors que l’on sort du cercle des personnes concernées : 12 millions de personnes en France, ainsi que leurs aidants et les associations.
Répondre à la crise du secteur médico-social
Alors quelle priorité pour les années à venir, pour le prochain président et le prochain gouvernement ? La première urgence sera de répondre à la très grave crise du secteur médico-social. En revalorisant les métiers de l’hôpital, le Ségur de la santé a créé une hémorragie des professionnels travaillant auprès des personnes handicapées vers les établissements de soins, accentuant une difficulté de recrutement structurelle dans ce secteur. Une pénurie ayant pour conséquence des situations de grandes tensions dans les établissements, des renvois vers les familles de personnes handicapées, d’innombrables maltraitances involontaires. Malgré une revalorisation partielle et une conférence des métiers organisée mi-février, le gouvernement n’a pu apporter une réponse durable et profonde à ces difficultés. Il faudra dans les années qui viennent remettre à plat le secteur, la formation, l’attractivité.
L’individualisation de l’Allocation adulte handicapé
Autre sujet incontournable : l’individualisation de l’AAH (allocation adulte handicapé). Jusqu’à présent, le montant de ce revenu minimal (900 euros à taux plein) attribué aux personnes en incapacité de travailler, était conditionné par les revenus du conjoint, sur un modèle de solidarité familiale classique. Depuis quelques temps, la revendication d’une "déconjugalisation" se fait très forte, afin de donner une autonomie réelle à chaque personne handicapée, et d’éviter les situations absurdes — et fréquentes — où il est préférable financièrement pour une personne handicapée de ne pas épouser son compagnon de vie, voire de divorcer…
Une école vraiment inclusive
Mais un chantier vital va devoir aussi mobiliser le prochain gouvernement : donner les moyens à l’école d’être vraiment inclusive. Car si la scolarisation des enfants handicapés dans l’école la plus proche est un droit depuis 2005, et si les chiffres d’enfants inclus ne cessent d’augmenter, les rouages de la machine sont encore fortement grippés, et parents comme enseignants font remonter des situations de souffrance et de détresse. Deux directions semblent prioritaires : donner un vrai statut aux accompagnants (AESH), qui sont la cheville ouvrière de l’inclusion scolaire ; mais surtout transformer globalement l’école, aujourd’hui beaucoup trop centralisée et normative, afin qu’elle s’adapte à la singularité des enfants et constitue ainsi un univers favorable à l’accueil et à la progression des enfants différents.
Revaloriser le handicap psychique
D’autres sujets sont de véritables angles morts du débat et des politiques publiques : en particulier le handicap psychique, qui fait si peur à notre société. Bien que mise à jour par les conséquences de la politique sanitaire, la question de la santé mentale est encore largement sous traitée. Malgré le plaidoyer régulier de lanceurs d’alerte, la psychiatrie est devenue le parent pauvre de la médecine ; et les structures d’accueil sont encore très inégalement réparties sur le territoire. Sous l’impulsion d’une visée inclusive, de nombreux lits de psychiatrie ont été fermés, sans que l’accompagnement en milieu ordinaire des personnes porteuses de troubles psychiques soit vraiment renforcé — alors que des initiatives réussies montrent la voie d’évolutions souhaitables. Il y a là un enjeu dramatique pour tant de personnes et de familles en grande souffrance.
Une politique de santé intégrale
Ces politiques et ces orientations programmatiques — parmi d’autres — sont nécessaires, mais pas suffisantes pour une réelle amélioration de la situation des personnes. Deux conditions s’imposent à une vision politique intégrale. D’une part, il convient de rattacher le sujet handicap au thème de la dépendance et de celui du grand âge, afin d’établir une vision globale de la place de la vulnérabilité dans notre pays. Ajournée, la grande réforme du financement de la dépendance devra être sur le dessus de la pile du prochain gouvernement. D’autre part, il n’y a pas de vision cohérente du handicap si la politique de sélection prénatale, aujourd’hui massive, n’est pas questionnée pour évoluer vers une vraie liberté, et un vrai accompagnement, des parents ; à l’autre bout de la chaîne, l’interdit de donner à la mort, donc de l’euthanasie et du suicide assisté, reste une pierre angulaire de toute vision politique prétendant à prendre soin des personnes fragiles. On le voit, les enjeux sont majeurs et conditionnent l’aspiration de notre société à garantir la dignité de tous et la préservation de notre civilisation.
Pratique :