Les mouvements d’Église et de nombreuses paroisses se dépensent généreusement pour proposer une "première évangélisation" largement ouverte, susceptible d’interpeller des contemporains très éloignés de l’Évangile. Parmi les "méthodes" couramment pratiquées, les Parcours alpha emportent la palme de l’adhésion. Bien des paroisses se félicitent de proposer, année après année, cette pédagogie venue de l’anglicanisme et reconfigurée dans une perspective catholique. Elle offre une première sensibilisation à la foi, à travers une série d’étapes au cours desquelles un bref exposé standardisé est présenté par un intervenant, qui a lui-même suivi le parcours et s’est efforcé de l’assimiler. Autour de l’exposé, les soirées s’organisent en repas partagés, temps d’échange et d’écoute.
S’il faut se réjouir de cette pédagogie dont les fruits immédiats sont bien visibles, il importe de souligner qu’elle ne peut suffire, et surtout pas constituer un but en soi. En rester à cette première étape, sans proposer d’approfondissement ultérieur de la foi et de la vie chrétienne, constituerait une erreur pour plusieurs raisons. Tout d’abord, une fois attirés vers l’Église grâce à cette première sensibilisation, il est indispensable que les nouveaux arrivants découvrent, de manière solide et systématique, les fondements de la foi : avant tout, la connaissance des Écritures (indigente dans l’Église catholique) et une initiation au Credo. Sans cela, leur foi toute neuve restera sans racine. Jean-Paul II soulignait qu’ "une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n'est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue".
Ensuite, l’athéisme fait tellement corps avec la mentalité contemporaine, imprègne tellement la culture, qu’une foi sans fondement ne sera pas armée pour lui résister. Elle ne le sera pas davantage face à l’efficacité de la prédication musulmane (qu’on pense seulement à la critique coranique du dogme de la Trinité à laquelle peu de chrétiens pratiquants savent répondre). Du côté du public cultivé mais éloigné de l’Église, une première évangélisation trop sommaire, sans exigence intellectuelle, peut les en détourner définitivement. Victimes du préjugé que la foi s'oppose à la raison, ces personnes ont besoin de rencontrer des interlocuteurs chrétiens aussi cultivés qu'elles et capables de répondre de manière précise et loyale aux questions liées à l’athéisme, à la science, à l’interprétation des Écritures…
Former ses propres formateurs
Enfin, à se centrer exclusivement sur la première évangélisation ad extra, les mouvements et paroisses risquent d’oublier l’indispensable formation continue de leurs propres membres. L’effet est nocif pour la vitalité de ces communautés : absence de familiarité avec la Bible, de références spirituelles, incapacité à dialoguer avec la culture... on en vient à sous-traiter les rares temps de formation à des spécialistes extérieurs, alors que toute communauté devrait entrer dans une dynamique interne de formation pour tous, adaptée aux capacités de chacun, afin de former ses propres formateurs. Sans cela, une sclérose s’installe et l’on en vient à prendre pour parole d’Évangile des habitudes de pensée vaguement badigeonnés de références spirituelles.
Est-ce à dire que rien ne se fait au-delà des formules comme les Parcours alpha ? certes non. Citons deux exemples significatifs : la pédagogie Even propose une catéchèse fondamentale très structurée, sous forme de soirées hebdomadaires réparties sur deux ans, adressée aux étudiants et jeunes professionnels, articulant Bible, initiation théologique et vie spirituelle. Autre exemple, le Parcours Emmaüs au sein de la Communauté du Chemin Neuf, est lui aussi décliné sur deux ans et 14 week-ends et propose une formation globale, théologique et spirituelle, qui inclut en particulier une lecture quotidienne de l’ensemble de la Bible. Cependant, ces parcours sont fortement engageants, sans doute plus adaptés à des jeunes ou des célibataires particulièrement motivés qu’au reste du peuple chrétien.
Inventer des propositions intermédiaires
Il nous semble donc qu’il faut inventer des propositions intermédiaires entre les parcours de "réveil" et ces parcours d’approfondissement systématique, pour prolonger et enraciner la dynamique de la première évangélisation. Afin de toucher le plus grand nombre de chrétiens, aussi bien parmi les convertis que parmi les paroissiens réguliers qui manquent de base catéchétique, nous pensons à des modules assez légers, d’environ dix soirées de deux heures, réparties sur un trimestre, qui pourraient être précédés par la messe ou un temps de prière. Ces temps de formation viseraient à donner les points fondamentaux nécessaires pour structurer la foi des fidèles, et leur permettre de se repérer par eux-mêmes dans la Bible et dans le Catéchisme de l’Église catholique.
En toute hypothèse, je suggérerais volontiers les parcours suivants. Premièrement, deux modules fondamentaux : l’un centré sur la découverte de la Bible et l’initiation à sa lecture, sa composition, ses genres littéraires, les grandes étapes de l’Alliance, les liens entre Ancien et Nouveau Testaments… L’autre proposant une découverte du Credo, par l’étude systématique de ses articles, en s’appuyant sur le Catéchisme de l’Église catholique. À ces modules, pourraient être ajoutés deux modules complémentaires : l’un initiant à la culture chrétienne, à travers l’histoire de l’Église, les débats culture et foi, l’art chrétien… L’autre introduisant à la doctrine sociale de l’Église, qui pourrait s’inspirer des "parcours Zachée" initiés au sein de la Communauté de l’Emmanuel. Il est urgent que les évêques, les curés de paroisse, les responsables de mouvements et de communautés, prennent à bras le corps cette question de la formation spirituelle, biblique, théologique, de leurs membres. Il en va de la crédibilité de l’Église, de plus en plus marginalisée dans les débats contemporains. Mais il en va d’abord de la maturation de la foi de chaque croyant, puisque, comme le dit saint Augustin, "la foi cherche à comprendre".