Ukraine et Russie comptent parmi les principaux producteurs et exportateurs de blé dans le monde. La guerre lancée par Moscou empêche la mise en culture des champs de céréales, ce qui aura des répercussions sur les moissons de l’été et donc les prix de l’automne. En représailles aux sanctions économiques imposées par l’Occident, la Russie pourrait également limiter ses exportations de blé. Sur un marché céréalier mondial déjà tendu, toute baisse de la production a pour conséquence une forte hausse des prix.
Le blé n’est pas seul en cause tant la chaîne de production alimentaire est complexe. Les engrais et les produits phytosanitaires sont eux aussi visés. Les Russes ont ainsi suspendu les exportations d'engrais et la Biélorussie a limité ses exportations de potasse, essentielle à la culture des céréales. Or la Biélorussie fournit 40% de l’approvisionnement mondial en potasse et la Russie près de 70% du nitrate d’ammonium, un composant utilisé pour la fabrication des engrais azotés. Sans ces produits il y aura une diminution drastique des rendements alimentaires.
Toute la chaîne de production alimentaire est concernée
La forte augmentation du prix du pétrole affecte aussi les marchés de céréales puisqu’un grand nombre d’engrais et de produits phytosanitaires sont issus de l’industrie pétrochimique. C’est donc toute la chaîne de production alimentaire qui est concernée par cette guerre en Ukraine, d’autant qu’un grand nombre de pays est dépendant du blé russe et ukrainien. C’est le cas notamment des pays d’Afrique, dont aucun n’est autosuffisant. La hausse des cours du blé va appauvrir les populations et bloquer l’accession à cette alimentation.
Le monde va redécouvrir que se nourrir est l’activité primordiale des hommes.
La Chine a elle aussi besoin du blé ukrainien, si bien que ses entreprises investissent dans l’achat de terres en Ukraine afin d’alimenter un marché chinois en train d’assurer une transition alimentaire du riz vers le blé. Si la guerre devait durer, il est probable que Xi Jinping mentionne ce dossier céréalier avec son allié russe, même s’il a récemment redit que l’amitié entre leurs deux pays était « aussi solide que le roc ». Le monde va redécouvrir que se nourrir est l’activité primordiale des hommes.
Les stocks de blé dans le monde sont estimés à cinq semaines, ce qui est court pour une denrée aussi essentielle. La Russie est le quatrième producteur mondial de blé et l’Ukraine le cinquième et l’on voit mal comment des producteurs plus modestes pourraient compenser la perte de ces marchés compte tenu de la pénurie ou de la forte hausse des prix des engrais. Difficile de produire plus avec moins de moyens. La FAO a dressé une première liste des pays menacés de famine, où figurent sans surprise la corne de l’Afrique, l’Éthiopie, le Nigéria (pays le plus peuplé d’Afrique, 217 millions d’habitants), le Soudan du Sud.
L’Europe face à la crise
Certes l’Europe est moins concernée par des risques de famine, mais l’augmentation des prix ne sera pas sans conséquence pour elle. Les agriculteurs sont touchés par la forte hausse des carburants et des produits azotés, ce qui va réduire d’autant leurs marges. Une hausse des coûts de production qui devrait se ressentir sur les prix de vente et donc toucher l’ensemble de la filière agroalimentaire.
En 2011, les printemps arabes étaient nés de l’accroissement des prix de l’alimentation qui avait poussé les populations à manifester dans les capitales du Maghreb. Ce que beaucoup redoutent c’est que l’inflation alimentaire provoque de nouvelles révoltes, qui viendraient toucher des pays d’Afrique du Nord mal remis des troubles d’il y a dix ans et des problèmes économiques et politiques qui n’ont cessé de croître depuis lors. Une déstabilisation de l’Afrique du Nord aurait des conséquences lourdes sur l’Europe, que ce soit en matière migratoire ou sécuritaire. Il en va de même pour l’Afrique noire. La hausse de l’alimentation risque d’accélérer la dissolution des États faillis et d’entraîner à la ruine les États fragiles, comme le Nigéria et la Côte d’Ivoire. Là aussi, les conséquences seraient importantes pour l’Europe.
Cette chute des dominos causée par la hausse des prix de l’alimentation n’arrivera peut-être pas, si les récoltes sont meilleures que prévu et si l’Ukraine parvient à produire en dépit de la guerre. Mais le risque demeure néanmoins très important et témoigne du fait que le conflit ukrainien dépasse largement le cadre russe et européen. Il s’agit d’une guerre mondiale non pas dans le sens où les pays du monde sont impliqués en tant que belligérants, mais dans le sens où ils sont concernés par les conséquences négatives de celle-ci. En touchant au cœur de la production céréalière, c’est l’ensemble du corps planétaire qui est frappé.