La parole a été, en cette fin de semaine, à la défense. Du mercredi 2 au vendredi 4 mars, trois des quatre accusés au procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray ont été interrogés. Farid Khelil, 36 ans, Yassine Sebaihia, 27 ans, et Jean-Philippe Jean Louis, 25 ans, sont jugés pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle". Ils risquent jusqu’à trente ans de réclusion criminelle. Le quatrième, Rachid Kassim, est le grand absent de ce procès car présumé mort en Syrie. Il est considéré comme l’instigateur de l’attentat.
Farid Khelil
Farid Khelil a donc été le premier à venir s’expliquer à la barre, mercredi 2 mars. Il avait déjà fait parler de lui en réagissant aux auditions de Guy Coponet, le paroissien grièvement blessé lors de l’attentat, et de Roseline Hamel, la sœur du père Jacques Hamel assassiné par les deux terroristes. À chacun il avait "présenté des excuses". "Ça fait six ans que j’attends qu’on me demande ça", a-t-il commencé ce mercredi, impatient de s’expliquer et d’affirmer qu’il ignorait "tout" du projet d’attentat de son cousin, Abdel-Malik Petitjean, le 26 juillet 2016. Son activité sur la messagerie cryptée Telegram à l’été 2016 témoigne pourtant de son activisme et de son soutien au djihadisme : il préparait un départ en Syrie et encourageait Abdel-Malik Petitjean à la violence. Mais lui se décrit comme un jeune homme à tendance "mythomane" qui cherche à se "faire accepter" et a "déconné deux mois", la période où il a échangé avec son cousin et Jean-Philippe Jean Louis, également dans le box des accusés.
À l'époque, "je prends ça comme un défouloir, un sac de punching-ball. Je suis au fond du trou, j'ai plus de travail [...] C'est un exutoire numérique", analyse-t-il.
Mais il n’en démord pas : son allusion à un départ en Syrie dès 2014 ? Il avance n’avoir pas été pris au sérieux par une psychiatre, quand il s'était présenté aux urgences en "burn-out". Son activisme sur les réseaux sociaux ? "J’ai jamais vu un contenu djihadiste avant d'installer Telegram à l'invitation de mon cousin, début juin 2016", assure-t-il. Son message à trois amis, disant qu’il a refusé de faire une minute de silence après l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 ? Pure "provocation", balaie encore Farid Khelil assurant qu’en réalité il "l’a faite". Une ligne sur laquelle l’accusé persiste. Quand on lui cite ses écrits sur Telegram tels que "Je veux frapper la France comme on m'a frappé" ou encore "les koufars (mécréants, ndlr) sont très agités en ce moment", il admet avoir "dit des choses horribles"... À l'époque, "je prends ça comme un défouloir, un sac de punching-ball. Je suis au fond du trou, j'ai plus de travail [...] C'est un exutoire numérique", analyse-t-il.
Après de derniers échanges avec son cousin et sa tante le 25 juillet 2016, il va voir la police le lendemain, c’est-à-dire le jour de l’assassinat du père Jacques Hamel... sans pour autant donner l'identité d'Abdel-Malik Petitjean. "Quand je sens qu’il y a un problème, qu’il va peut-être tuer des gens, partir [...] je fais tout pour arrêter ça", assure-t-il, concédant: "Trop tard, rétrospectivement". N'était-ce pas plutôt pour se couvrir, ayant compris que son cousin était l'un des assassins? " Pour l'avocate générale, Saliha Hand-Ouali, Farid Khelil "dit tout et son contraire".
Yassine Sebaihia
Le lendemain, jeudi 3 mars, c’est au tour de Yassine Sebaihia d’être interrogé par la cour d’assises spéciale de Paris. "Vous êtes celui qui a côtoyé les deux terroristes au plus près de leur passage à l'acte", lance jeudi l'une des avocates générales. En effet, deux jours avant l’attentat, il a parcouru quelque 800 kilomètres pour se rendre chez Adel Kermiche (le deuxième auteur de l’attentat avec Abdel-Malik Petitjean, ndlr). Mais il n’en démord pas non plus : c’est "pour des cours de religion", assure-t-il à la barre, affirmant qu’à aucun moment il n’aurait imaginé que ce dernier irait assassiner un prêtre dans son église deux jours après. Mais de quoi était-il précisément au courant ? "Vous vous êtes enfermé dans une version [...] pas cohérente", insiste l'avocate générale.
Quand ils ont vu que j'étais normal", ils n'ont "pas pris le risque" de dévoiler leurs plans, parce que c'était "sûr que j'allais les dénoncer".
À l'époque, l’accusé explique se poser des questions sur l’islam et s’intéresse au conflit syrien. Il s’abonne à de nombreux comptes Twitter radicaux, atterrit sur Telegram et rapidement, les chaînes pro-État islamique de l'application cryptée prennent "presque toute la place". "Oui", la chaîne d'Adel Kermiche "appelait au djihad", mais il affirme l'avoir suivie "d'un œil extérieur", "entre deux parties de consoles". Lors de l’interrogatoire, le président s'est étonné que les deux djihadistes fassent "venir quelqu'un de totalement tiers à l'attentat en pleins préparatifs".
"Comment vous expliquez qu'(Adel Kermiche) ne vous parle jamais d'attentat, jamais de hijra (un départ en Syrie) alors qu'il est monomaniaque et ne parle que de ça ?", questionne-t-il. "Quand ils ont vu que j'étais normal", ils n'ont "pas pris le risque" de dévoiler leurs plans, parce que c'était "sûr que j'allais les dénoncer", analyse l'accusé. Sur le trajet du retour, il dit à un autre contact Telegram qu'il part "récupérer des papiers", alimentant pour l'accusation l'hypothèse d'un projet de départ en Syrie. "C'est pas ce qui s'est passé", affirme Yassine Sebaihia, sans se souvenir à quels papiers il faisait allusion.
Jean-Philippe Jean Louis
Ce vendredi 3 mars, c’était au tour du troisième accusé, Jean-Philippe Jean Louis, de répondre aux questions de la cour. Il est notamment accusé d’avoir voulu se rendre en Syrie avec Abdel Malik Petitjean, l’un des assassins du père Hamel, et d’avoir fait une cagnotte en ligne pour son projet d’attentat. Après l’assassinat du père Jacques Hamel il écrit à Farid Khelil, l’un des autres accusés : "Venge ton cousin, fonce vers l'ennemi". Mais il se justifie en expliquant qu’il savait que Farid Khelil ne passerait pas à l'acte. Il y aussi cet autre message envoyé à Abdel Malik Petitjean et Farid Khelil : "On est des terroristes !". Interrogé sur ce point, l'accusé a répondu : "J'ai dit ça pour rigoler." Dans un autre message encore, il écrit : "Toute cette terre sera couverte par le drapeau noir." Mais, là encore, Jean-Philippe Jean Louis botte en touche : "J’ai dit ça par provocation".
La situation en Syrie m’a touché. J’ai cherché comment partir pour faire de l’humanitaire. […] J’ai finis sur djihadosphère.
Vient enfin le sujet des cagnottes en ligne. À la question du président l’interrogeant sur son utilité, "pour aider la communauté musulmane ou financer des voyages en Syrie ?", il répond qu’il n’y avait "pas de raison particulière." Abdel Malik Petitjean en a demandé une "mais elle n'a pas servi". L’accusé a effet fait une cagnotte pour Malik Petitjean, qui cherchait notamment de l'argent pour dormir à l'hôtel. S’il avance n’avoir jamais fait de cagnotte "pour quelqu'un qui voulait acheter des armes", il a reconnu qu'il ne savait pas toujours à quoi elles servaient.
Concernant sa volonté de rejoindre la Syrie, il raconte : "La situation en Syrie m’a touché. J’ai cherché comment partir pour faire de l’humanitaire. […] J’ai fini sur djihadosphère." C’est aussi à cette époque qu’il regarde des vidéos d’exécution diffusées par l’État islamique. Il décide finalement de partir en Syrie avec Abdel Malik Petitjean en juin 2016 : "C’est à ce moment que j’ai pris l’argent des cagnottes pour pouvoir partir". Ils se sont donné rendez-vous à Zurich en Suisse pour prendre l'avion pour la Turquie. Mais Steven Jean Louis est bloqué à l’arrivée et les deux hommes sont renvoyés en France.
La semaine prochaine, ce sera au tour des plaidoiries des parties civiles, du réquisitoire des avocates générales et des plaidoiries de la défense avant le verdict, mercredi 9 mars. Les trois accusés encourent jusqu’à trente ans de réclusion criminelle.