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Parole morale, parole publique

Mgr de Moulins Beaufort

Mgr Eric de Moulins Beaufort au Collège des Bernardins en janvier 2021.

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Michel Cool - publié le 12/02/22
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Quand la parole publique de l’Église n’est plus écoutée, il faut chercher d’autres voies pour se faire entendre, soutient l’écrivain Michel Cool.

Depuis des années, notre parole publique s’est laissée enfermer dans notre parole morale […]. Tout le monde sait très bien ce que nous allons dire — nous les premiers —, et on sait très bien qu’il n’en sera pas fait grand usage. On nous a cornérisés »  constatait récemment le président de la conférence des évêques de France. 

C’est une évidence, depuis la légalisation de la contraception en 1967, les lois libéralisant les mœurs et la sexualité ont été votées en France par des majorités politiques différentes et avec le soutien d’une partie croissante de l’opinion publique. Mais au détriment de l’Église catholique qui, très combative et intransigeante sur les enjeux de bioéthique, a été mise hors-jeu des débats.  

Chercher d’autres voies

Le constat d’Éric de Moulins-Beaufort sonne comme un aveu d’échec : sur le fond comme sur la forme, les catholiques ne savent plus expliquer aux mentalités contemporaines leur conception de la vie, leur vision de la famille, leur idéal éducatif. La stratégie conflictuelle qui a prévalu dans leurs rangs, consistant à refuser en bloc toute législation jugée permissive et à jeter dans la rue des militants chauffés à blanc, a fait chou blanc. Cette option contre-culturelle n’a pas réussi à influencer dans leur sens le législateur et elle a participé à caricaturer l’enseignement de l’Église en le bornant à quelques points déclarés « non négociables ». Elle a aussi contribué à frapper d’ostracisme tous les catholiques alors que leur homogénéité sur ces sujets sociétaux, ayant trait à l’intimité et à la liberté de conscience, est loin d’être acquise. 

Pour être entendue, l’Église catholique doit-elle changer de feuille de route et modifier sa doctrine ? La question se pose alors que les protagonistes du débat sur l’euthanasie en France commencent à fourbir leurs arguments. Changer de doctrine ? En aucun cas, répondait il y a peu, dans un entretien vigoureux à La Croix, le cardinal Hollerich, nommé par le pape rapporteur du synode romain sur la synodalité. Il est en revanche urgent pour l’archevêque de Luxembourg et influenceur du prochain synode, que l’Église change sa feuille de route, autrement dit, sa stratégie et sa communication avec la société libérale : « À quoi, servirait-il de prendre la parole si nous ne sommes pas écoutés ? interroge-t-il. Il faut essayer de comprendre l’autre, pour établir des ponts avec la société. Pour parler de l’anthropologie chrétienne, nous devons nous fonder sur l’expérience humaine de notre interlocuteur. Car si l’anthropologie chrétienne est merveilleuse, elle ne sera bientôt plus comprise si nous ne changeons pas de méthode… Lorsqu’un discours ne porte plus, il ne faut pas s’acharner mais chercher d’autres voies. »

L’annonce de l’amour de Dieu est première

Quelles autres voies ? Un article paru, avec l’aval du Vatican, dans la revue jésuite italienne de référence, La Civilta Cattolica, en janvier dernier, en indique une. Son auteur, un jésuite, médecin, membre de l’Académie pontificale pour la vie, s’interroge sur la discussion qui agite la Péninsule sur la législation de la fin de vie. Les débats divisent partisans de l’euthanasie et du suicide assisté. Quelle position l’Église italienne doit-elle adopter ? Rejeter en bloc toute législation puisque la doctrine réprouve ces deux options ? Ou bien s’impliquer dans le débat, en facilitant le moindre mal, ou plutôt « le bien du meilleur », selon la formule du chancelier de l’Académie pontificale pour la vie ? L’auteur de l’article lève ainsi ce dilemme : pour lui, il faut mieux collaborer à une loi imparfaite en faisant entendre son point de vue que de brandir des arguments inaudibles et exclusifs. Et prendre le risque de laisser passer une loi plus grave encore.

Cette position ne fera sûrement pas consensus. Reconnaissons-lui le mérite d’apporter une réponse au constat posé par l’archevêque de Reims, et largement partagé dans l’épiscopat et dans l’Église en général. Jusqu’au pape François lui-même : déjà, dans sa première interview accordée en 2013 à cette même revue jésuite, il faisait cette observation : « L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est première par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui, il semble parfois que prévaut l’ordre inverse. »

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